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ÉLOGE HISTORIQUE DE LA RAISON.

paraissent bien forts. Je sais qu’on ne reconnaît deux puissances ni à la Chine, ni dans l’Inde, ni en Perse, ni à Constantinople, ni à Moscou, ni à Londres, etc… Mais je m’en rapporte à vous, ma mère. Je n’écrirai rien que ce que vous aurez dicté. »

La Raison lui répondit : « Ma fille, vous sentez bien que je désire à peu près les mêmes choses et bien d’autres. Tout cela demande du temps et de la réflexion. J’ai toujours été très-contente quand, dans mes chagrins, j’ai obtenu une partie des soulagements que je voulais. Je suis aujourd’hui trop heureuse.

« Vous souvenez-vous du temps où presque tous les rois de la terre, étant dans une profonde paix, s’amusaient à jouer aux énigmes : et où la belle reine de Saba venait proposer tête à tête des logogriphes à Salomon ?

— Oui, ma mère ; c’était un bon temps, mais il n’a pas duré.

— Eh bien ! reprit la mère, celui-ci est infiniment meilleur. On ne songeait alors qu’à montrer un peu d’esprit ; et je vois que depuis dix à douze ans on s’est appliqué dans l’Europe aux arts et aux vertus nécessaires, qui adoucissent l’amertume de la vie. Il semble en général qu’on se soit donné le mot pour penser plus solidement qu’on n’avait fait pendant des milliers de siècles. Vous, qui n’avez jamais pu mentir, dites-moi quel temps vous auriez choisi ou préféré au temps où nous sommes pour vous habituer en France.

— J’ai la réputation, répondit la fille, d’aimer à dire des choses assez dures aux gens chez qui je me trouve, et vous savez que j’y ai toujours été forcée ; mais j’avoue que je n’ai que du bien à dire du temps présent, en dépit de tant d’auteurs qui ne louent que le passé.

« Je dois instruire la postérité que c’est dans cet âge que les hommes ont appris à se garantir d’une maladie affreuse et mortelle, en se la donnant moins funeste[1] ; à rendre la vie à ceux qui la perdent dans les eaux[2] ; à gouverner et à braver le tonnerre[3] ; à suppléer au point fixe qu’on désire en vain d’occident

  1. Louis XVI, peu après son avénement au trône, se fit inoculer, ainsi que ses frères le comte de Provence, depuis Louis XVIII, et le comte d’Artois, depuis Charles X (voyez tome XV, le chapitre xli du Précis du Siècle de Louis XV). L’inoculation fut alors tellement en vogue que les inoculateurs ne pouvaient suffire au nombre de ceux qui les appelaient.
  2. C’est à Philippe-Nicolas Pia, né en 1721, mort en 1799, que l’on doit l’établissement des secours pour les noyés.
  3. L’invention des paratonnerres est de Benjamin Franklin, qui se trouvait à Paris quand Voltaire y vint en 1778 ; voyez, dans le tome Ier, la Vie de Voltaire, par Condorcet.