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CHAPITRE IV.

avez disséqué des cerveaux, vous avez vu des embryons et des fœtus : y avez vous découvert quelque apparence d’âme ?

SIDRAC.

Pas la moindre, et je n’ai jamais pu comprendre comment un être immatériel, immortel, logeait pendant neuf mois inutilement caché dans une membrane puante entre de l’urine et des excréments. Il m’a paru difficile de concevoir que cette prétendue âme simple existât avant la formation de son corps : car à quoi aurait-elle servi pendant des siècles sans être âme humaine ? Et puis comment imaginer un être simple, un être métaphysique, qui attend pendant une éternité le moment d’animer de la matière pendant quelques minutes ? Que devient cet être inconnu si le fœtus qu’il doit animer meurt dans le ventre de sa mère ?

Il m’a paru encore plus ridicule que Dieu créât une âme au moment qu’un homme couche avec une femme. Il m’a semblé blasphématoire que Dieu attendît la consommation d’un adultère, d’un inceste, pour récompenser ces turpitudes en créant des âmes en leur faveur. C’est encore pis quand on me dit que Dieu tire du néant des âmes immortelles pour leur faire souffrir éternellement des tourments incroyables. Quoi ! brûler des êtres simples, des êtres qui n’ont rien de brûlable ! Comment nous y prendrions-nous pour brûler un son de voix, un vent qui vient de passer ? Encore ce son, ce vent, étaient matériels dans le petit moment de leur passage ; mais un esprit pur, une pensée, un doute ? Je m’y perds. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve qu’obscurité, contradiction, impossibilité, ridicule, rêverie, impertinence, chimère, absurdité, bêtise, charlatanerie.

Mais je suis à mon aise quand je me dis : Dieu est le maître. Celui qui fait graviter des astres innombrables les uns vers les autres, celui qui fit la lumière, est bien assez puissant pour nous donner des sentiments et des idées, sans que nous ayons besoin d’un petit atome étranger, invisible, appelé âme.

Dieu a donné certainement du sentiment, de la mémoire, de l’industrie à tous les animaux. Il leur a donné la vie, et il est bien aussi beau de faire présent de la vie que de faire présent d’une âme. Il est assez reçu que les animaux vivent : il est démontré qu’ils ont du sentiment, puisqu’ils ont les organes du sentiment. Or, s’ils ont tout cela sans âme, pourquoi voulons-nous à toute force en avoir une ?

GOUDMAN.

Peut-être c’est par vanité. Je suis persuadé que si un paon pouvait parler, il se vanterait d’avoir une âme, et il dirait que