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LETTRE IV.

tête, un gouvernement sans prêtres, un peuple sans armes, des citoyens tous égaux, à la magistrature près, et des voisins sans jalousie.

Guillaume Penn pouvait se vanter d’avoir apporté sur la terre l’âge d’or dont on parle tant, et qui n’a vraisemblablement existé qu’en Pensylvanie. Il revint en Angleterre pour les affaires de son nouveau pays, après la mort de Charles II. Le roi Jacques, qui avait aimé son père, eut la même affection pour le fils, et ne le considéra plus comme un sectaire obscur, mais comme un très-grand homme. La politique du roi s’accordait en cela avec son goût ; il avait envie de flatter les quakers, en abolissant les lois[1] contre les non-conformistes, afin de pouvoir introduire la religion catholique à la faveur de cette liberté. Toutes les sectes d’Angleterre virent le piège, et ne s’y laissèrent pas prendre ; elles sont toujours réunies contre le catholicisme, leur ennemi commun. Mais Penn ne crut pas devoir renoncer à ses principes pour favoriser des protestants qui le haïssaient, contre un roi qui l’aimait. Il avait établi la liberté de conscience en Amérique, il n’avait pas envie de paraître vouloir la détruire en Europe ; il demeura donc fidèle à Jacques II, au point qu’il fut généralement accusé d’être jésuite. Cette calomnie l’affligea sensiblement ; il fut obligé de s’en justifier par des écrits publics. Cependant le malheureux Jacques II, qui, comme presque tous les Stuart, était un composé de grandeur et de faiblesse, et qui, comme eux, en fit trop et trop peu, perdit son royaume[2] sans qu’il y eût une épée de tirée, et sans qu’on pût dire comment la chose arriva.

Toutes les sectes anglaises reçurent de Guillaume III et de son parlement cette même liberté qu’elles n’avaient pas voulu tenir des mains de Jacques. Ce fut alors que les quakers commencèrent à jouir, par la force des lois, de tous les privilèges dont ils sont en possession aujourd’hui. Penn, après avoir vu enfin sa secte établie sans contradiction dans le pays de sa naissance, retourna en Pensylvanie. Les siens et les Américains le reçurent avec des larmes de joie, comme un père qui revenait voir ses enfants. Toutes ses lois avaient été religieusement observées pendant son absence, ce qui n’était arrivé à aucun législateur avant lui. Il resta quelques années à Philadelphie ; il en partit enfin malgré lui pour aller solliciter à Londres de[3] nouveaux avan-

  1. 1734. « Les lois faites contre. »
  2. 1734. « Son royaume, sans qu’on pût dire comment la chose arriva. »
  3. 1734. « Des avantages nouveaux en faveur des Pensylvains : il vécut depuis