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SUR L’INSERTION DE LA PETITE VÉROLE.


d’argent, sans quoi on ne prend ni ne défend les villes. Il eut recours à des marchands anglais : en une demi-heure de temps on lui prêta cinq millions ; avec cela il délivra Turin, battit les Français, et écrivit à ceux qui avaient prêté cette somme ce petit billet : « Messieurs, j’ai reçu votre argent, et je me flatte de l’avoir bien employé à votre satisfaction. »

Tout cela donne un juste orgueil à un marchand anglais, et fait qu’il ose se comparer, non sans quelque raison, à un citoyen romain. Aussi le cadet d’un pair du royaume ne dédaigne point le négoce. Milord Townshend, ministre d’État, a un frère qui se contente d’être marchand dans la Cité. Dans le temps que milord Orford gouvernait l’Angleterre, son cadet était facteur à Alep, d’où il ne voulut pas revenir, et où il est mort.

Cette coutume, qui pourtant commence trop à se passer, paraît monstrueuse à des Allemands entêtés de leurs quartiers ; ils ne sauraient concevoir que le fils d’un pair d’Angleterre ne soit qu’un riche et puissant bourgeois, au lieu qu’en Allemagne tout est prince ; on a vu jusqu’à trente altesses du même nom n’ayant pour tout bien que des armoiries[1] et une noble fierté.

En France, est marquis qui veut ; et quiconque arrive à Paris du fond d’une province avec de l’argent à dépenser, et un nom en ac ou en ille, peut dire : Un homme comme moi, un homme de ma qualité, et mépriser souverainement un négociant. Le négociant entend lui-même parler si souvent avec dédain de sa profession qu’il est assez sot pour en rougir ; je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État, ou un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, à quelle heure il se couche, et qui se donne des airs de grandeur en jouant le rôle d’esclave dans l’antichambre d’un ministre, ou un négociant qui enrichit son pays, donne de son cabinet des ordres à Surate et au Caire, et contribue au bonheur du monde.



LETTRE XI[2].
SUR L’INSERTION DE LA PETITE VÉROLE[3].

On dit doucement dans l’Europe chrétienne que les Anglais sont des fous et des enragés : des fous, parce qu’ils donnent la

  1. 1734. « Que des armoiries et de l’orgueil. »
  2. Cette lettre formait, dans l’édition de Kehl, l’article Inoculation du Dictionnaire philosophique.
  3. Cela fut écrit en 1727. Ainsi l’auteur fut le premier en France qui parla