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SUR LA COMÉDIE.

souvent celui de la débauche plutôt que celui de l’honnêteté. On y appelle chaque chose par son nom. Une femme fâchée contre son amant lui souhaite la v…… Un ivrogne, dans une pièce qu’on joue tous les jours, se masque en prêtre, fait du tapage, est arrêté par le guet. Il se dit curé ; on lui demande s’il a une cure : il répond qu’il en a une excellente pour la chaude…… Une des comédies les plus décentes, intitulée le Mari négligent, représente d’abord ce mari qui se fait gratter la tête par une servante, assise à côté de lui ; sa femme survient et s’écrie : À quelle autorité ne parvient-on pas par être p…… ! Quelques cyniques prennent le parti de ces expressions grossières ; ils s’appuient sur l’exemple d’Horace, qui nomme par leur nom toutes les parties du corps humain et tous les plaisirs qu’elles donnent. Ce sont des images qui gagnent chez nous à être voilées. Mais Horace, qui semble fait pour les mauvais lieux ainsi que pour la cour, et qui entend parfaitement les usages de ces deux empires, parle aussi franchement de ce qu’un honnête homme dans ses besoins peut faire à une jeune fille que s’il parlait d’une promenade ou d’un souper. On ajoute que les Romains, du temps d’Auguste, étaient aussi polis que les Parisiens, et que ce même Horace, qui loue l’empereur Auguste d’avoir réformé les mœurs, se conformait sans honte à l’usage de son siècle, qui permettait les filles, les garçons, et les noms propres. Chose étrange (si quelque chose pouvait l’être) qu’Horace, en parlant le langage de la débauche, fut le favori d’un réformateur, et qu’Ovide, pour avoir parlé le langage de la galanterie, fut exilé par un débauché, un fourbe, un assassin nommé Octave, parvenu à l’empire par des crimes qui méritaient le dernier supplice[1].

Quoi qu’il en soit, Bayle prétend que les expressions sont indifférentes : en quoi lui, les cyniques, et les stoïciens, semblent se tromper, car chaque chose a des noms différents qui la peignent sous divers aspects, et qui donnent d’elle des idées fort différentes. Les mots de magistrat et de robin, de gentilhomme et de gentillâtre, d’officier et d’aigrefin, de religieux et de moine, ne signifient pas la même chose. La consommation du mariage, et tout ce qui sert à ce grand œuvre, sera différemment exprimé par le curé, par le mari, par le médecin, et par un jeune homme amoureux. Le mot dont celui-ci se servira réveillera l’image du

  1. Voyez les causes de la persécution faite par Octave à Ovide, dans les Questions sur l’Encyclopédie. (Note de Voltaire). — Cette note a été ajoutée dans l’édition de 1775. Les Questions sur l’Encyclopédie font partie du Dictionnaire philosophique ; voyez tome XX, page 160.