Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
RAISONS EN FAVEUR DE L’EXISTENCE DE DIEU.

donne l’être à un autre s’il n’a le pouvoir de créer ; de plus, si vous dites qu’une chose reçoit, je ne dis pas la forme, mais son existence d’une autre chose, et celle-là d’une troisième, cette troisième d’une autre encore, et ainsi en remontant jusqu’à l’infini, vous dites une absurdité, car tous ces êtres alors n’auront aucune cause de leur existence. Pris tous ensemble, ils n’ont aucune cause externe de leur existence ; pris chacun en particulier, ils n’en ont aucune interne : c’est-à-dire, pris tous ensemble, ils ne doivent leur existence à rien ; pris chacun en particulier, aucun n’existe par soi-même ; donc aucun ne peut exister nécessairement.

Je suis donc réduit à avouer qu’il y a un être qui existe nécessairement par lui-même de toute éternité, et qui est l’origine de tous les autres êtres. De là il suit essentiellement que cet être est infini en durée, en immensité, en puissance : car qui peut le borner ? Mais, me direz-vous, le monde matériel est précisément cet être que nous cherchons. Examinons de bonne foi si la chose est probable.

Si ce monde matériel est existant par lui-même d’une nécessité absolue, c’est une contradiction dans les termes que de supposer que la moindre partie de cet univers puisse être autrement qu’elle est : car, si elle est en ce moment d’une nécessité absolue, ce mot seul exclut toute autre manière d’être ; or, certainement cette table sur laquelle j’écris, cette plume dont je me sers, n’ont pas toujours été ce qu’elles sont ; ces pensées que je trace sur le papier n’existaient pas même il y a un moment, donc elles n’existent pas nécessairement. Or, si chaque partie n’existe pas d’une nécessité absolue, il est donc impossible que le tout existe par lui-même. Je produis du mouvement, donc le mouvement n’existait pas auparavant ; donc le mouvement n’est pas essentiel à la matière ; donc la matière le reçoit d’ailleurs ; donc il y a un Dieu qui le lui donne. De même l’intelligence n’est pas essentielle à la matière, car un rocher ou du froment ne pensent point. De qui donc les parties de la matière qui pensent et qui sentent auront-elles reçu la sensation et la pensée ? Ce ne peut-être d’elles-mêmes, puisqu’elles sentent malgré elles ; ce ne peut être de la matière en général, puisque la pensée et la sensation ne sont point de l’essence de la matière : elles ont donc reçu ces dons de la main d’un être suprême, intelligent, infini, et la cause originaire de tous les êtres.

Voilà en peu de mots les preuves de l’existence d’un Dieu, et le précis de plusieurs volumes : précis que chaque lecteur peut étendre à son gré.