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RÉPONSE À CES OBJECTIONS.

tence des êtres intelligents ne prouve pas plus que l’être existant par lui-même est un être intelligent, que l’existence des êtres matériels ne prouve que l’être existant par lui-même est matière : car la chose est absolument semblable ; on dira la même chose du mouvement. À l’égard du mot de perfection, on en abuse ici visiblement : car, qui osera dire que la matière est une imperfection, et la pensée une perfection ? Je ne crois pas que personne ose décider ainsi de l’essence des choses. Et puis, que veut dire perfection ? Est-ce perfection par rapport à Dieu, ou par rapport il nous ?

Je sais que l’on peut dire que cette opinion ramènerait au spinosisme ; à cela je pourrais répondre que je n’y puis que faire, et que mon raisonnement, s’il est bon, ne peut devenir mauvais par les conséquences qu’on en peut tirer. Mais, de plus, rien ne serait plus faux que cette conséquence : car cela prouverait seulement que notre intelligence ne ressemble pas plus à l’intelligence de Dieu que notre manière d’être étendu ne ressemble à la manière dont Dieu remplit l’espace. Dieu n’est point dans le cas dès causes que nous connaissons : il a pu créer l’esprit et la matière, sans être ni matière ni esprit ; ni l’un ni l’autre ne dérivent de lui, mais sont créés par lui. Je ne connais pas le quomodo. il est vrai : j’aime mieux m’arrêter que de m’égarer ; son existence m’est démontrée, mais pour ses attributs et son essence, il m’est, je crois, démontré que je ne suis pas fait pour les comprendre.

Dire que Dieu n’a pu faire ce monde ni nécessairement ni librement n’est qu’un sophisme qui tombe de lui-même dès qu’on a prouvé qu’il y a un Dieu, et que le monde n’est pas Dieu ; et cette objection se réduit seulement à ceci : Je ne puis comprendre que Dieu ait créé l’univers plutôt dans un temps que dans un autre : donc il ne l’a pu créer. C’est comme si l’on disait : Je ne puis comprendre pourquoi un tel homme ou un tel cheval n’a pas existé mille ans auparavant : donc leur existence est impossible. De plus, la volonté libre de Dieu est une raison suffisante du temps dans lequel il a voulu créer le monde. Si Dieu existe, il est libre ; et il ne le serait pas s’il était toujours déterminé par une raison suffisante, et si sa volonté ne lui en servait pas. D’ailleurs, cette raison suffisante serait-elle dans lui ou hors de lui ? Si elle est hors de lui, il ne se détermine donc pas librement ; si elle est en lui, qu’est-ce autre chose que sa volonté ?

Les lois mathématiques sont immuables, il est vrai ; mais il