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UTILE EXAMEN SUR LE SIEUR ROUSSEAU.

comédies, à se déchaîner contre ses rivaux ! Quel bien peut-on faire aux hommes en choisissant de tels sujets ? à qui plaira-t-on ? quelle gloire peut-on acquérir ? Quelques personnes lisent ces petites satires : elles disent, après les avoir lues, qu’il vaudrait beaucoup mieux instruire en faisant une bonne tragédie et une bonne comédie qu’en parlant mal de ceux qui en font ; mais cette manière d’instruire serait plus difficile.

Il faudrait au moins sauver la petitesse de ces sujets par l’élégance du style : c’est la seule ressource quand le génie est médiocre. Mais le style des dernières épîtres de Rousseau est, ce me semble, beaucoup plus répréhensible encore que les sujets même ; et c’est sur quoi on peut faire ici quelques réflexions utiles.

Le style doit être propre au sujet. Le grand mérite des bons auteurs du siècle de Louis XIV est d’avoir tout traité convenablement. Despréaux, en traitant des sujets simples, ne tombe point dans le bas : il est familier, mais toujours élégant. Les termes de sa langue lui suffisent ; il ne va point chercher dans la langue qu’on parlait du temps de François Ier de quoi exprimer sa pensée, ni un terme usité par la populace, pour tâcher d’être plus comique. Lisez ce qu’il dit à M. Racine dans cette belle épître[1] qu’il lui adresse :

Cependant laisse ici gronder quelques censeurs
Qu’aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.

Vous ne verrez dans cette simplicité que, les termes les plus nobles.

C’est une justice encore que l’on rend à l’auteur de la Henriade de n’avoir mis dans ce poème rien de bas ni d’ampoulé. Dans la description la plus pompeuse il est simple :


Alors on n’entend plus ces foudres de la guerre,
Dont les bouches de bronze épouvantaient la terre ;
Un farouche silence, enfant de la fureur,
À ces bruyants éclats succède avec horreur.
D’un bras déterminé, d’un œil brûlant de rage,
Parmi ses ennemis chacun s’ouvre un passage.
On saisit, on reprend, par un contraire effort,
Ce rempart teint de sang, théâtre de la mort.
Dans ses fatales mains la Victoire incertaine
Tient encor près des lis l’étendard de Lorraine.

  1. Épître VII, vers 85-80.