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ÉCLAIRCISSEMENTS

parcouru seulement trois fois son diamètre, parce que ce mobile déplace nécessairement les parties qu’il choque, etc. Dans cette démonstration, il a négligé de considérer la résistance du fluide, qui vient de la ténacité de ses parties, résistance qui sert à faire perdre encore beaucoup de vitesse au mobile : ainsi, ces deux causes jointes ensemble, ce déplacement des parties du fluide et sa ténacité auraient nécessairement arrêté tout mouvement dans toutes les planètes. Cette démonstration est une de celles qui ne laissent aucun subterfuge aux partisans des tourbillons. Cependant, quoiqu’on ne trouve pas dans mes Éléments cet argument invincible, et ceux qui sont tirés encore des longueurs des pendules comparées avec le temps de leurs vibrations, je crois en avoir assez dit pour mettre tout commençant et tout homme d’un sens droit en état de rejeter le plein et les tourbillons de Descartes avec assez de connaissance de cause.

Gassendi, Bernier, le P. Daniel, etc., avaient combattu ces hypothèses en France ; mais ils ne les avaient point attaquées avec les armes qui devaient les détruire : ils ne voyaient dans Descartes que des nuages, mais ils n’avaient pas la lumière pour les dissiper ; ils disaient des choses de très-bon sens, sans les pouvoir démontrer ; ils attaquaient vaguement, on leur répondait de même, et ce palais enchanté de Descartes subsistait dans l’imagination des hommes, parce que les philosophes qui sentaient cette illusion n’avaient pas encore de quoi rompre le charme.

Ce charme est tout à fait rompu par tant de démonstrations : j’ai donné fidèlement la substance de quelques-unes ; je ne me suis guère enfoncé dans les détails géométriques ; j’ai écrit pour ceux qui, n’ayant pas le loisir de s’appesantir sur ces matières, ont un esprit assez juste pour en sentir le résultat. Le nombre de ces sortes d’esprits est beaucoup plus grand qu’on ne pense. Il est bien vrai que ce livre n’est pas pour tout le monde, malgré le titre séducteur que les éditeurs lui ont donné ; mais s’il n’est pas pour tous, il est pour un assez grand nombre. J’ai fait aisément comprendre à quelques personnes sans études, non-seulement toute la théorie de la lumière, mais celle de la gravitation ; et tel homme qui a facilement entendu dans ces Éléments comment un corps, qui tombe dans la première seconde de 15 pieds, parcourt, dans la deuxième, 45, etc., a été embarrassé lorsque, sans géométrie préliminaire, il s’est servi des triangles de Galilée[1].

  1. L’usage de ces triangles donne une démonstration élégante de cette loi des espaces que Voltaire rappelle ici. (D.)