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LETTRE DE M. THIERIOT

vos Vestales, vos Machabées[1], votre Saül[2], et votre Hérode[3] : il faut avouer que M. de Voltaire est un bien méchant homme, et que vous avez raison de le comparer à Néron[4], comme vous le faites si à propos dans votre belle préface.

Quelques personnes pourraient peut-être vous dire que la ressource des mauvais poëtes, monsieur l’abbé, a toujours été de se plaindre de la cabale ; que Pradon, votre devancier, accusait M. Racine d’avoir fait tomber sa Phèdre, et que de Brie[5] à qui on prétend que vous ressemblez en tout parfaitement,

Pour disculper ses œuvres insipides,
En accusait et le froid et le chaud[6].

On pourrait ajouter que personne ne peut avoir assez d’autorité pour empêcher le public de prendre du plaisir à une tragédie, et qu’il n’y a que l’auteur qui puisse avoir ce crédit ; mais vous vous donnerez bien de garde d’écouter tous ces mauvais discours.

On dit même que ce n’est pas d’aujourd’hui que vous faites imprimer des préfaces pleines d’injures à la tête de vos tragédies sifflées. Quelques curieux se souviennent qu’il y a deux ans vous imputâtes à M. de Lamotte et à ses amis la chute d’un certain Antiochus[7], et que vous accusâtes Mlle Lecouvreur, qui représentait votre premier rôle, d’avoir mal joué une fois en sa vie, de peur que vous ne fussiez applaudi une fois en la vôtre.

Il est vrai pourtant, et j’en suis témoin, qu’à la première représentation de votre Mariamne, il y avait une cabale dans le parterre ; elle était composée de plusieurs personnes de distinction de vos amis, qui, pour vingt sous par tête, étaient venus vous applaudir. L’un d’eux même présentait publiquement des

  1. Tragédie jouée en 1722.
  2. Tragédie jouée en 1705.
  3. Tragédie jouée en 1709.
  4. L’abbé Nadal, dans un des passages supprimés de sa préface, disait de Voltaire : « Je le crois trop bien né pour chercher ses avantages hors de lui-même :

    Est-ce ainsi que Néron sait disputer un cœur ? »

  5. De Brie, fils d’un chapelier, est mort en 1715 ou 1716. Il est auteur des Héraclides et du Lourdaud, pièces non imprimées.
  6. Premiers vers de la douzième épigramme de J.-B. Rousseau, livre III, page 307 du tome II des ses Œuvres, Paris, Lefèvre, 1820, cinq volumes in-8o.
  7. Antiochus, ou les Machabées, tragédie de Nadal. Dans la préface de l’édition de 1723, Nadal ne nomme ni ne désigne Mlle Lecouvreur ; il parle de l’animosité effrénée des partisans de Lamotte. Ce passage a depuis été supprimé par l’auteur.