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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

ne vaut pas sa Pélopée. Il protégait beaucoup Rousseau. Il l’avait produit chez M. le maréchal de Vauban, son beau-père ; mais enfin il ne put le soutenir contre le ressentiment de M. le duc de Noailles. Dans ce temps-là même, Rousseau s’attira encore l’inimitié de M. de Fontenelle par des épigrammes, lesquelles, sans beaucoup de sel pour le public, ne laissaient pas d’être fort piquantes pour celui qu’elles attaquaient. Dans ces circonstances il sollicita une place à l’Académie française, ayant fait tout ce qu’il fallait pour n’en être pas, et parlant même avec mépris de ce corps. Chose étrange, que presque tous les beaux esprits aient fait des épigrammes contre l’Académie française, et aient fait des brigues pour y être admis ! On ne connaît guère que M. de Voltaire qui n’en ait jamais médit satiriquement, et qui n’ait fait aucune démarche pour en être.

M. de Lamotte, auteur de plusieurs ouvrages qui avaient du cours, et qui n’avait point d’ennemis, se mettait sur les rangs. Rousseau faisait des vers contre Lamotte et le décriait partout ; et Lamotte se contentait de faire des adresses à chaque académicien, qu’il louait de son mieux. Lamotte flattait avec un peu de bassesse, il le faut avouer ; Rousseau déchirait avec emportement les académiciens, Lamotte et ses amis. Enfin Lamotte, outré, répondit à Rousseau par une très-belle Ode sur le mérite personnel. Il y avait des traits que l’indignation avait arrachés à son caractère doux.

Cette ode, récitée au café, y fut extrêmement applaudie, et Rousseau fut au désespoir. Il répondit par de nouveaux couplets, qu’il fit distribuer sous main, contre tous ceux qui venaient alors au café, et surtout contre Lamotte. Il n’est pas permis à un honnête homme de rapporter les paroles de ces satires : tout était dans la tournure de ce couplet que nous avons rapporté contre Pécour et Campra ; mais les expressions étaient plus cyniques.

Dans cette guerre, si déshonorante pour l’esprit humain, un nommé Autreau, homme assez franc, d’ailleurs mauvais peintre et mauvais poëte, fit contre Rousseau une chanson, qui fut pour lui le plus cuisant de tant d’affronts. Cette chanson, que nous rapportons, était dans le goût le plus naïf de celles du Pont-Neuf, et par là même n’était que plus outrageante, comme on va le voir.