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LE PRÉSERVATIF.

les uns sur les autres, dans un milieu non résistant. Il faudrait au moins se faire informer de l’état de la question avant que d’insulter de grands hommes dont on n’a lu ni pu lire les ouvrages.

VIII.

Nombre 187. Il se fait écrire une lettre par un Anglais pour se louer lui-méme, et il fait proposer dans cette lettre de faire une nouvelle édition d’un libelle de sa façon, intitulé Dictionnaire nèologique[1] : ce libelle est l’ouvrage auquel il donne le plus d’éloges dans sa gazette littéraire. Il est bon qu’on sache que ce Dictionnaire néologique est une satire dans laquelle on prend la peine inutile de relever des fautes connues de tout le monde, et de critiquer de très-belles choses à la faveur des mauvaises qu’on reprend. C’est un libelle où l’auteur veut faire passer sa fausse monnaie parmi la bonne qui n’est pas de lui. Je vais en donner quelques exemples.

M. de Fontenelle, dans ses Éloges des académiciens, livre plein d’esprit et de raison, et qui rend les sciences respectables, dit dans l’Éloge de M. de Varignon : « Nos journées passaient comme des moments, grâce à ces plaisirs qui ne sont pourtant pas compris dans ce qu’on appelle ordinairement les plaisirs. Nous parlions à nous quatre une bonne partie des différentes langues de l’empire des lettres, et tous les sujets de cette petite société se sont dispersés de là dans toutes les académies. »

Ailleurs il dit très à propos :

« N’est-il pas juste, en effet, que la science ait des ménagements pour l’ignorance, qui est son aînée, et qu’elle trouve toujours en possession ?

« Malebranche fait un partage si net entre la raison et la foi, et assigne à chacune des objets si séparés, qu’elles ne peuvent plus avoir aucune occasion de se brouiller.

« On ne ferait pas tout ce que l’on peut, sans l’espérance de faire plus qu’on ne pourra.

« Il ne s’instruisait pas par une grande lecture, mais par une profonde méditation ; un peu de lecture jetait dans son esprit des germes de pensées que la méditation faisait ensuite éclore, et qui rapportaient au centuple. Il devinait, quand il en avait besoin,

  1. Le Dictionnaire néologique, à l’usage des beaux esprits du siècle, 1726, in-12, a eu beaucoup d’éditions. Desfontaines, dans la Voltairomanie, page 17, ne reconnaît que les deux premières éditions. On croit que le fond de l’ouvrage est de J.-J. Bel, conseiller au parlement de Bordeaux, mort en 1738.