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À M***.

Le malheur de cet homme, et une injustice si criante, me touchèrent sensiblement. Un Français, qui était avec moi, m’avoua qu’il sentait une joie maligne de voir que les Anglais, qui nous reprochent si hautement notre servitude, étaient esclaves aussi bien que nous. J’avais un sentiment plus humain, j’étais affligé de ce qu’il n’y avait plus de liberté sur la terre.

Je vous avais écrit sur cela bien de la morale chagrine, lorsqu’un acte du parlement mit fin à cet abus d’enrôler des matelots par la force[1] et me fit jeter ma lettre au feu. Pour vous donner une plus forte idée des contrariétés dont je vous parle, j’ai vu quatre traités fort savants contre la réalité des miracles de Jésus-Christ, imprimés ici impunément, dans le temps qu’un pauvre libraire a été pilorié pour avoir publié une traduction de la Religieuse en chemise.

On m’avait promis que je retrouverais mes jeux olympiques à Newmarket. Toute la noblesse, me disait-on, s’y assemble deux fois l’an ; le roi même s’y rend quelquefois avec la famille royale. Là, vous voyez un nombre prodigieux de chevaux les plus vites de l’Europe, nés d’étalons arabes et de juments anglaises, qui volent dans une carrière d’un gazon vert à perte de vue, sous de petits postillons vêtus d’étoffes de soie, en présence de toute la cour. J’ai été chercher ce beau spectacle, et j’ai vu des maquignons de qualité qui pariaient l’un contre l’autre, et qui mettaient, dans cette solennité, infiniment plus de filouterie que de magnificence.

Voulez-vous que je passe des petites choses aux grandes ? Je vous demanderai si vous pensez qu’il soit bien aisé de vous définir une nation qui a coupé la tête à Charles Ier parce qu’il voulait introduire l’usage des surplis en Écosse, et qu’il avait exigé un tribut que les juges avaient déclaré lui appartenir ; tandis que cette même nation a vu, sans murmurer, Cromwell chasser les parlements, les lords, les évêques, et détruire toutes les lois.

Songez que Jacques II a été détrôné en partie pour s’être obstiné à donner une place dans un collége à un pédant catholique[2], et souvenez-vous que Henri VIII, ce tyran sanguinaire, moitié catholique, moitié protestant, changea la religion du pays parce qu’il voulait épouser une effrontée[3] laquelle il envoya ensuite sur l’échafaud ; qu’il écrivit un mauvais livre contre

  1. Cette violence s’exerce encore pendant la guerre. (K.)
  2. Péters, jésuite et confesseur du roi ; voyez, tome XIV, le chapitre XV du Siècle de Louis XIV ; et aussi les notes des éditeurs de Kehl, tome XII, pages 490-91.
  3. Anne de Boulen, voyez tome XII, pages 311 et 317.