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LIBERTÉ DE L'HOMME.

embrasse, à quelque fatalité qu’on croie toutes nos actions attachées, on agira toujours comme si on était libre.[1]

  1. L’édition de 1756 et ses réimpressions, auxquelles manquent plusieurs chapitres de 1741 et 1748, contenaient de plus un chapitre v, que voici :
    CHAPITRE V.
    Doutes sur la liberté qu’on nomme d’indifférence.
    « 1. Les plantes sont des êtres organisés dans lesquels tout se fait nécessairement. Quelques plantes tiennent au règne animal, et sont en effet des animaux attachés à la terre.
    « 2. Ces animaux plantes, qui ont des racines, des feuilles et du sentiment, auraient-ils une liberté ? il n’y a pas grande apparence.
    « 3. Les animaux n’ont-ils pas un sentiment, un instinct, une raison commencée, une mesure d’idées et de mémoire ? Qu’est-ce au fond que cet instinct ? N’est-il pas un de ces ressorts secrets que nous ne connaîtrons jamais ? On ne peut rien connaître que par l’analyse, ou par une suite de ce qu’on appelle les premiers principes : or quelle analyse ou quelle synthèse peut nous faire connaître la nature de l’instinct ? Nous voyons seulement que cet instinct est toujours nécessairement accompagné d’idées. Un ver à soie a la perception de la feuille qui le nourrit ; la perdrix, du ver qu’elle cherche et qu’elle avale ; le renard, de la perdrix qu’il mange ; le loup, du renard qu’il dévore. Il n’est pas vraisemblable que ces êtres possèdent ce qu’on appelle la liberté. On peut donc avoir des idées sans être libre.
    « 4. Les hommes reçoivent et combinent des idées dans leur sommeil. On ne peut pas dire qu’ils soient libres alors. N’est-ce pas une nouvelle preuve qu’on peut avoir des idées sans être libre ?
    « 5. L’homme a par-dessus les animaux le don d’une mémoire plus vaste. Cette mémoire est l’unique source de toutes les pensées. Cette source commune aux animaux et aux hommes pourrait-elle produire la liberté ? Des idées réfléchies dans un cerveau seraient-elles absolument d’une autre nature que des idées non réfléchies dans un autre cerveau ?
    « 6. Les hommes ne sont-ils pas tous déterminés par leur instinct ? et n’est-ce pas la raison pourquoi ils ne changent jamais de caractère ? Cet instinct n’est-il pas ce qu’on appelle le naturel ?
    « 7. Si on était libre, quel est l’homme qui ne changeât pas son naturel ? Mais a-t-on jamais vu sur la terre un homme se donner seulement un goût ? A-t-on jamais vu un homme, né avec de l’aversion pour danser, se donner du goût pour la danse ? un homme sédentaire et paresseux, rechercher le mouvement ? et l’âge et les aliments ne diminuent-ils pas les passions que la raison croit avoir domptées ?
    « 8. La volonté n’est-elle pas toujours la suite des dernières idées qu’on a reçues ? Ces idées étant nécessaires, la volonté ne l’est-elle pas aussi ?
    « 9. La liberté est-elle autre chose que le pouvoir d’agir, ou de n’agir pas ? et Locke n’a-t-il pas eu raison d’appeler la liberté puissance ?
    « 10. Le loup a la perception de quelques moutons paissants dans une campagne ; son instinct le porte à les dévorer ; les chiens l’en empêchent. Un conquérant a la perception d’une province que son instinct le porte à envahir ; il trouve des forteresses et des armées qui lui barrent le passage. Y a-t-il une grande différence entre ce loup et ce prince ?

    {{a|« 11. Cet univers ne paraît-il pas assujetti dans toutes ses parties à des lois