Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
LIBERTÉ DE L'HOMME.
embrasse, à quelque fatalité qu’on croie toutes nos actions attachées, on agira toujours comme si on était libre.[1]
- ↑ L’édition de 1756 et ses réimpressions, auxquelles manquent plusieurs chapitres de 1741 et 1748, contenaient de plus un chapitre v, que voici :
CHAPITRE V.Doutes sur la liberté qu’on nomme d’indifférence.« 1. Les plantes sont des êtres organisés dans lesquels tout se fait nécessairement. Quelques plantes tiennent au règne animal, et sont en effet des animaux attachés à la terre.« 2. Ces animaux plantes, qui ont des racines, des feuilles et du sentiment, auraient-ils une liberté ? il n’y a pas grande apparence.« 3. Les animaux n’ont-ils pas un sentiment, un instinct, une raison commencée, une mesure d’idées et de mémoire ? Qu’est-ce au fond que cet instinct ? N’est-il pas un de ces ressorts secrets que nous ne connaîtrons jamais ? On ne peut rien connaître que par l’analyse, ou par une suite de ce qu’on appelle les premiers principes : or quelle analyse ou quelle synthèse peut nous faire connaître la nature de l’instinct ? Nous voyons seulement que cet instinct est toujours nécessairement accompagné d’idées. Un ver à soie a la perception de la feuille qui le nourrit ; la perdrix, du ver qu’elle cherche et qu’elle avale ; le renard, de la perdrix qu’il mange ; le loup, du renard qu’il dévore. Il n’est pas vraisemblable que ces êtres possèdent ce qu’on appelle la liberté. On peut donc avoir des idées sans être libre.« 4. Les hommes reçoivent et combinent des idées dans leur sommeil. On ne peut pas dire qu’ils soient libres alors. N’est-ce pas une nouvelle preuve qu’on peut avoir des idées sans être libre ?« 5. L’homme a par-dessus les animaux le don d’une mémoire plus vaste. Cette mémoire est l’unique source de toutes les pensées. Cette source commune aux animaux et aux hommes pourrait-elle produire la liberté ? Des idées réfléchies dans un cerveau seraient-elles absolument d’une autre nature que des idées non réfléchies dans un autre cerveau ?« 6. Les hommes ne sont-ils pas tous déterminés par leur instinct ? et n’est-ce pas la raison pourquoi ils ne changent jamais de caractère ? Cet instinct n’est-il pas ce qu’on appelle le naturel ?« 7. Si on était libre, quel est l’homme qui ne changeât pas son naturel ? Mais a-t-on jamais vu sur la terre un homme se donner seulement un goût ? A-t-on jamais vu un homme, né avec de l’aversion pour danser, se donner du goût pour la danse ? un homme sédentaire et paresseux, rechercher le mouvement ? et l’âge et les aliments ne diminuent-ils pas les passions que la raison croit avoir domptées ?« 8. La volonté n’est-elle pas toujours la suite des dernières idées qu’on a reçues ? Ces idées étant nécessaires, la volonté ne l’est-elle pas aussi ?« 9. La liberté est-elle autre chose que le pouvoir d’agir, ou de n’agir pas ? et Locke n’a-t-il pas eu raison d’appeler la liberté puissance ?« 10. Le loup a la perception de quelques moutons paissants dans une campagne ; son instinct le porte à les dévorer ; les chiens l’en empêchent. Un conquérant a la perception d’une province que son instinct le porte à envahir ; il trouve des forteresses et des armées qui lui barrent le passage. Y a-t-il une grande différence entre ce loup et ce prince ?
{{a|« 11. Cet univers ne paraît-il pas assujetti dans toutes ses parties à des lois