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REMARQUES SUR LES PENSÉES

pour les examiner ensuite ; et c’est en admirant son génie que je combats quelques-unes de ses idées.

Il me paraît qu’en général l’esprit dans lequel M.  Pascal écrivit ces Pensées était de montrer l’homme dans un jour odieux ; il s’acharne à nous peindre tous méchants et malheureux ; il écrit contre la nature humaine à peu près comme il écrivait contre les jésuites. Il impute à l’essence de notre nature ce qui n’appartient qu’à certains hommes ; il dit éloquemment des injures au genre humain.

J’ose prendre le parti de l’humanité contre ce misanthrope sublime ; j’ose assurer que nous ne sommes ni si méchants ni si malheureux qu’il le dit. Je suis de plus très-persuadé que s’il avait suivi, dans le livre qu’il méditait, le dessein qui paraît dans ses Pensées, il aurait fait un livre plein de paralogismes éloquents, et de faussetés admirablement déduites. On dit même[1] que tous ces livres[2] qu’on a faits depuis peu pour prouver la religion chrétienne sont plus capables de scandaliser que d’édifier. Ces auteurs prétendent-ils en savoir plus que Jésus-Christ et ses apôtres ? C’est vouloir soutenir un chêne en l’entourant de roseaux ; on peut écarter ces roseaux inutiles sans craindre de faire tort à l’arbre.

J’ai choisi avec discrétion quelques pensées de Pascal : j’ai mis les réponses au bas. Au reste, on ne peut trop répéter ici combien il serait absurde et cruel de faire une affaire de parti de cet examen des Pensées de Pascal : je n’ai de parti que la vérité ; je pense qu’il est très-vrai que ce n’est pas à la métaphysique de prouver la religion chrétienne, et que la raison est autant au-dessous de la foi que le fini est au-dessous de l’infini[3]. Il ne s’agit ici que de raison, et c’est si peu de chose chez les hommes que cela ne vaut pas la peine de se fâcher.

PENSÉES DE PASCAL.

I. Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles, qu’il faut nécessairement que la vraie religion nous enseigne qu’il y a en

  1. Les éditions antérieures à 1748 portent : Je crois même. (B.)
  2. L’un de ces livres est sans doute la Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits, de l’abbé Houteville ; voyez tome XX, pages 410 et 451, et tome XXI, page 505.
  3. Les éditions antérieures à 1748 portent : « … au-dessous de l’infini. Je suis métaphysicien avec Locke, mais chrétien avec saint Paul. » (B.)