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DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I.

minutes des étoiles, selon Newton : il a pris les étoiles pour le soleil. La lumière émane des étoiles les plus prochaines en six mois[1], selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates et très-fautives. Ce n’est point Newton, c’est Huygens et Hartsoeker qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu créa la lumière avant le soleil, que la lumière est répandue par toute la nature, et qu’elle se fait sentir quand les astres lumineux la poussent ; mais il est démontré qu’elle arrive des étoiles fixes en un temps très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n’était donc point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces erreurs, que l’on répète tous les jours dans beaucoup de livres qui sont l’écho les uns des autres.

Voici en peu de mots la substance de la démonstration sensible de Roemer, que la lumière emploie sept à huit minutes dans son chemin du soleil à la terre.

On observe de la terre en C ce satellite de Jupiter (figure 1), qui s’éclipse régulièrement une fois en quarante-deux heures et demie. Si la terre était immobile, l’observateur en C verrait, en trente fois quarante-deux heures et demie, trente émersions de ce satellite ; mais au bout de ce temps, la terre se trouve en D ; alors l’observateur ne voit plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux heures et demie, mais il faut ajouter le temps que la lumière met à se mouvoir de C en D, et ce temps est sensiblement considérable. Mais cet espace C D est encore moins grand que l’espace G H dans ce cercle. Or ce cercle est le grand orbe que décrit la terre, le soleil est au milieu ; la lumière, en venant du satellite de Jupiter, traverse C D en dix minutes, et G H en quinze ou seize minutes. Le Soleil est entre G et H : donc la lumière vient du soleil en sept ou huit minutes.

Cette belle observation fut longtemps contestée ; enfin on a été forcé de convenir de l’expérience, et le préjugé a tâché d’éluder l’expérience même. Elle prouve tout au plus (dit-on) que la matière de la lumière existant dans l’espace, et contiguë du soleil à nos yeux, met sept à huit minutes à nous transmettre l’impression du soleil ; mais ne devrait-on pas voir qu’une telle réponse, faite au hasard, contredit manifestement tous les principes mécaniques ? Descartes savait bien, et il avait dit que si la

  1. Ce qu’on sait de certain à ce sujet ne date que de 1838. On le doit à Bessel, de Kœnigsberg. La soixante-unième du Cygne, que cet illustre astronome pense être une des plus rapprochées, est encore à une telle distance qu’il faut plus de neuf ans à sa lumière pour nous parvenir. À l’époque où Voltaire écrivait, on ne pouvait avoir que des présomptions. (D.)