Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
449
NATURE DE LA LUMIÈRE.

jours toute sa substance, et qu’il doit envoyer des millions de livres pesant de lumière à chaque minute ; mais si on faisait attention qu’à peine la lumière pèse, qu’à peine le soleil en fournit peut-être une once par an, et qu’il en reçoit de tous les autres soleils, on ne ferait pas de ces critiques précipitées.

Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la substance du soleil s’échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien le plein de Descartes est inadmissible. Car : 1° comment une ligne droite pourrait-elle parvenir à nous à travers tant de millions de couches de matières mues en ligne courbe, et à travers tant de mouvements divers ? 2° comment un corps si délié pourrait-il en sept ou huit minutes parcourir l’espace de quatre cent mille fois trente-trois millions de lieues d’une étoile à nous, s’il avait à pénétrer dans cet espace une matière résistante ? Il faudrait que chaque rayon dérangeât en un moment trente-trois millions de lieues de matière subtile quatre cent mille fois.

Remarquez encore que cette prétendue matière subtile résisterait dans le plein absolu, autant que la matière la plus compacte. Car une livre de poudre d’or, pressée dans une boîte, résiste autant qu’un morceau d’or pesant une livre. Ainsi un rayon d’une étoile aurait bien plus d’effort à faire que s’il avait à percer un cône d’or, dont l’axe serait treize milliasses deux cents milliards de lieues.

Il y a plus, l’expérience, ce vrai maître de philosophie, nous apprend que la lumière, en venant d’un élément dans un autre élément, d’un milieu dans un autre milieu, n’y passe pas tout entière, comme nous le dirons : une grande partie est réfléchie, l’air en fait rejaillir plus qu’il n’en transmet ; ainsi il serait impossible qu’il nous vînt aucune lumière des étoiles, elle serait toute absorbée, toute répercutée, avant qu’un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphère. Et que serait-ce si ce rayon avait encore tant d’autres atmosphères à traverser ? Mais dans les chapitres où nous expliquerons les principes de la gravitation, nous verrons une foule d’arguments qui prouvent que ce plein prétendu était un roman.

Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la vérité s’établit lentement chez les hommes. Il y a près de cinquante ans que Roemer avait démontré, par les observations sur les éclipses des satellites de Jupiter, que la lumière émane du soleil à la terre en sept minutes et demie ou environ ; cependant, non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs livres de physique, mais voici comme on