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DE LA RÉFRANGIBILITÉ.

seront donc celles qui vous apporteront le plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu la vue, doit être composé de plus de rayons que le vert, qui la repose davantage. » Cette hypothèse (déjà suspecte, puisqu’elle est hypothèse) ne paraît qu’une erreur grossière, dès l’instant que l’on daigne considérer un tableau à un jour faible, et ensuite à un grand jour. Vous voyez toujours les mêmes couleurs. Du blanc, qui n’est éclairé que d’une bougie, est toujours blanc ; et le vert, éclairé de mille bougies, sera toujours vert.

Adressez-vous enfin à Newton. Il vous dira : Ne m’en croyez pas ; n’en croyez que vos yeux et les mathématiques ; mettez-vous dans une chambre tout à fait obscure, où le jour n’entre que par un trou extrêmement petit : le rayon de la lumière viendra sur du papier vous donner la couleur de la blancheur.

Exposez transversalement à un rayon de lumière ce prisme de verre (figure 30) ; ensuite mettez à une distance d’environ seize ou dix-sept pieds une feuille de papier P P vis-à-vis ce prisme.

Vous savez que la lumière se brise en entrant de l’air dans ce prisme ; vous savez qu’elle se brise en sens contraire, en sortant de ce prisme dans l’air. Si elle ne se brisait pas ainsi, elle irait de ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais, comme il faut que la lumière en s’échappant s’éloigne de la ligne Z, cette lumière ira donc frapper le papier. C’est là que se voit tout le secret de la lumière et des couleurs. Ce rayon, qui est tombé sur ce prisme, n’est pas, comme on croyait, un simple rayon : c’est un faisceau de sept principaux faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive, primordiale, qui lui est propre. Des mélanges de ces sept rayons naissent toutes les couleurs de la nature ; et les sept réunis ensemble, réfléchis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur.

Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déjà insinué que les rayons de la lumière ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous également ; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration évidente. Ces sept rayons de lumière échappés du corps de ce rayon, qui s’est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant un ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le moins de roideur, le moins de matière, s’écarte plus dans l’air de la perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort (figure 31), le plus dense, le plus vigoureux, s’en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui viennent se briser les uns au-dessus des autres ?