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LETTRE DE L’AUTEUR.

Newton n’exerce mon esprit. Je crois que vos doutes, monsieur, lui en auraient fait naître. Vous dites que c’est dommage qu’il ne se soit pas expliqué plus clairement sur la raison qui fait que la force attractive devient souvent répulsive, et sur la force par laquelle les rayons de lumière sont dardés avec une si prodigieuse célérité ; et j’oserais ajouter que c’est dommage qu’il n’ait pu savoir la cause de ces phénomènes. Newton, le premier des

    tave de ré, comme la ligne A I, qui donnera le rouge en I, est à la ligne A D, qui donne le violet en D ; ainsi les espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi les tons de la musique.

    « La plus grande réfrangibilité du violet répond à ré ; la plus grande réfrangibilité du pourpre répond à mi ; celle du bleu répond à fa ; celle du vert, à sol ; celle du jaune, à la ; celle de l’orangé, à si ; celle du rouge, à l’ut ; et enfin la plus petite réfrangibilité du rouge se rapporte à ré, qui est l’octave supérieure. Le ton le plus grave répond ainsi au violet, et le ton le plus aigu répond au rouge. On peut se former une idée complète de toutes ces propriétés en jetant les yeux sur la table que j’ai dressée, et que vous devez trouver à côté.

    « Il y a encore un autre rapport entre les sons et les couleurs : c’est que les rayons les plus distants (les violets et les rouges) viennent à nos yeux en même temps, et que les sons les plus distants (les plus graves et les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même temps. Cela ne veut pas dire que nous voyons et que nous entendons en même temps à la même distance : car la lumière se fait sentir six cent mille fois plus vite au moins que le son ; mais cela veut dire que les rayons bleus, par exemple, ne viennent pas du soleil à nos yeux plus tôt que les rayons rouges, de même que le son de la note si ne vient pas à nos oreilles plus tôt que le son de la note ré.

    « Cette analogie secrète entre la lumière et le son donne lieu de soupçonner que toutes les choses de la nature ont des rapports cachés, que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déjà certain qu’il y a un rapport entre le toucher et la vue, puisque les couleurs dépendent de la configuration des parties ; on prétend même qu’il y a eu des aveugles-nés qui distinguaient au toucher la différence du noir, du blanc, et de quelques autres couleurs.

    « Un philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des sens et de la lumière peut-être plus loin qu’il ne semble permis aux hommes d’aller. Il a imaginé un clavecin oculaire, qui doit faire paraître successivement des couleurs harmoniques, comme nos clavecins nous font entendre des sons : il y a travaillé de ses mains ; il prétend enfin qu’on jouerait des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui cherche à donner aux autres de nouveaux arts et de nouveaux plaisirs. Il y a eu des pays où le public l’aurait récompensé. Il est à souhaiter sans doute que cette invention ne soit pas, comme tant d’autres, un effort ingénieux et inutile : ce passage rapide de plusieurs couleurs devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouir et fatiguer la vue : nos yeux veulent peut-être du repos pour jouir de l’agrément des couleurs. Ce n’est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut que la nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir ; c’est à l’expérience seule à justifier cette invention. En attendant, il me paraît que tout esprit équitable ne peut que louer l’effort et le génie de celui qui cherche à agrandir la carrière des arts et de la nature. »

    Dans l’édition de 1741, la fin de ce dernier alinéa fut abrégée. Après les mots nouveaux arts et nouveaux plaisirs, on lisait seulement :

    « Au reste, cette idée n’a point encore été exécutée, et l’auteur ne suivait pas les découvertes de Newton. En attendant, il me paraît que tout esprit équitable