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DE LA PESANTEUR.

prouvée ici : il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de leur masse.

Si l’on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu’un autre, on en trouvera aisément l’unique raison : on jugera que ce corps doit avoir plus de masse, plus de matière sous une même étendue ; ainsi, l’or pèse plus que le bois, parce qu’il y a dans l’or bien plus de matière et moins de vide que dans le bois.

Descartes et ses sectateurs (s’il en peut avoir encore) soutiennent qu’un corps est plus pesant qu’un autre sans avoir plus de matière ; non contents de cette idée, ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie : ils admettent un grand tourbillon de matière subtile autour de notre globe, et c’est ce grand tourbillon, disent-ils, qui, en circulant, chasse tous les corps vers le centre de la terre, et leur fait éprouver ce que nous appelons pesanteur.

Il est vrai qu’ils n’ont donné aucune preuve de cette assertion : il n’y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les choses que nous connaissons un peu, qui puisse fonder une présomption légère en faveur de ce tourbillon de matière subtile ; ainsi, de cela seul que ce système est une pure hypothèse, il doit être rejeté. C’est cependant par cela seul qu’il a été accrédité. On concevait ce tourbillon sans effort, on donnait une explication vague des choses en prononçant ce mot de matière subtile ; et quand les philosophes sentaient les contradictions et les absurdités attachées à ce roman philosophique, ils songeaient à le corriger plutôt qu’à l’abandonner.

Huygens et tant d’autres y ont fait mille corrections, dont ils avouaient eux-mêmes l’insuffisance. Mais que mettrons-nous à la place des tourbillons et de la matière subtile ? Ce raisonnement trop ordinaire est celui qui affermit le plus les hommes dans l’erreur et dans le mauvais parti. Il faut abandonner ce que l’on voit faux et insoutenable, aussi bien quand on n’a rien à lui substituer que quand on aurait les démonstrations d’Euclide à mettre à la place. Une erreur n’est ni plus ni moins erreur, soit qu’on la remplace ou non par des vérités : devrais-je admettre l’horreur du vide dans une pompe, parce que je ne saurais pas encore par quel mécanisme l’eau monte dans cette pompe ?

Commençons donc, avant que d’aller plus loin, par prouver que les tourbillons de matière subtile n’existent pas ; que le plein n’est pas moins chimérique ; qu’ainsi tout ce système, fondé sur ces imaginations, n’est qu’un roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c’est que ces tourbillons imaginaires, et examinons ensuite si le plein est possible.