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TOURBILLONS IMPOSSIBLES.

accablé si le goût de la nouveauté et le peu d’usage où l’on était alors d’examiner n’avaient prévalu.

Il faut prouver à présent que le plein, dans lequel ces tourbillons sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons.

1° Un seul rayon de lumière, qui ne pèse pas, à beaucoup près, la cent millième partie d’un grain, aurait à déranger tout l’univers s’il avait à s’ouvrir un chemin jusqu’à nous à travers un espace immense, dont chaque point résisterait par lui-même, et par toute la ligne dont il serait pressé.

2° Soient ces deux corps durs A B (figure 47) ; ils se touchent par une surface, et sont supposés entourés d’un fluide qui les presse de tous côtés ; or, quand on les sépare, il est clair que la prétendue matière subtile arrive plus tôt au point A, où on les sépare, qu’au point B : donc il y a un moment où B sera vide ; donc, même dans le système de la matière subtile, il y a du vide, c’est-à-dire de l’espace.

3° S’il n’y avait point de vide et d’espace, il n’y aurait point de mouvement, même dans le système de Descartes. Il suppose que Dieu créa l’univers plein et consistant en petits cubes : soit donc un nombre donné de cubes représentant l’univers, sans qu’il y ait entre eux le moindre intervalle : il est évident qu’il faut qu’un d’eux sorte de la place qu’il occupait, car si chacun reste dans sa place il n’y a point de mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer d’un point de l’espace dans un autre point de l’espace. Or qui ne voit que l’un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vide à l’instant qu’il en sort ? car il est clair que ce cube, en tournant sur lui-même, doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que l’angle soit brisé : donc alors il y a de l’espace entre ces deux cubes ; donc, dans le système de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement sans vide.

4° Si tout était plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous n’éprouvons que celle des fluides dans lesquels nous sommes : par exemple, celle de l’eau, qui nous résiste 860 fois plus que celle de l’air ; celle du mercure, qui résiste environ 14,000 fois plus que l’air. Or les résistances des fluides sont comme les carrés des vitesses, c’est-à-dire si un homme parcourt dans une tierce un pied d’espace du mercure, qui lui résiste 14,000 fois plus que l’air ; si cet homme, dans la seconde tierce, a le double de cette vitesse, ce mercure, qui est 14,000 fois plus dense que l’air, résistera comme le carré de deux, la résistance sera bientôt infinie : donc, si tout était plein, il serait absolument impossible de faire un pas, de respirer, etc. »