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DE M. PASCAL.

 II. Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire pas les originaux !

Ce n’est pas dans la bonté du caractère d’un homme que consiste assurément le mérite de son portrait, c’est dans la ressemblance. On admire César en un sens, et sa statue ou image sur toile en un autre sens.

 III. Si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, si les docteurs n’avaient des bonnets carrés et des robes amples, ils n’auraient jamais eu la considération qu’ils ont dans le monde[1].

Cependant les médecins n’ont cessé d’être ridicules, n’ont acquis une vraie considération que depuis qu’ils ont quitté ces livrées de la pédanterie ; les docteurs ne sont reçus dans le monde, parmi les honnêtes gens, que quand ils sont sans bonnet carré et sans arguments : il y a même des pays où la magistrature se fait respecter sans pompe. Il y a des rois chrétiens très-bien obéis, qui négligent la cérémonie du sacre et du couronnement. À mesure que les hommes acquièrent plus de lumières, l’appareil devient plus inutile : ce n’est guère que pour le bas peuple qu’il est encore quelquefois nécessaire ; ad populum phaleras.

 IV. Selon les lumières naturelles, s’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque, n’ayant ni parties, ni bornes, il n’a nul rapport à nous : nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est.

Il est étrange que Pascal ait cru qu’on pouvait deviner le péché originel par la raison, et qu’il dise qu’on ne peut connaître par la raison si Dieu est. C’est apparemment la lecture de cette pensée qui engagea le P. Hardouin à mettre Pascal dans sa liste ridicule des athées[2] ; Pascal eût manifestement rejeté cette idée, puisqu’il la combat en d’autres endroits. En effet, nous sommes obligés d’admettre des choses que nous ne concevons pas : J’existe, donc quelque chose existe de toute éternité, est une proposition évidente. Cependant comprenons-nous l’éternité ?

  1. Voltaire est revenu sur cette pensée ; voyez le n° LXVI des Dernières Remarques, année 1778.
  2. Le P. Hardouin a intitulé son livre Athei detecti. Les athées démasqués par Hardouin sont : C. Jansénius, Ambroise Victor (c’est-à-dire André Martin), … Thomassin, Fr. Malebranche, P. Quesnel, Ant. Arnauld, P. Nicole, R. Descartes, Ant. Legrand, Silvain Régis, et B. Pascal.