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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

qu’une comédie puisse réussir en vers ; les Français, au contraire, ne croyaient pas qu’on pût supporter une longue comédie qui ne fût pas rimée. Ce préjugé fit donner la préférence à la pièce de Villiers sur celle de Molière[1] ; et ce préjugé a duré si longtemps que Thomas Corneille, en 1673[2], immédiatement après la mort de Molière, mit son Festin de Pierre en vers : il eut alors un grand succès sur le théâtre de la rue Guénégaud ; et c’est de cette seule manière qu’on le représente aujourd’hui[3].

À la première représentation du Festin de Pierre de Molière, il y avait une scène entre don Juan et un pauvre[4]. Don Juan demandait à ce pauvre à quoi il passait sa vie dans la forêt. « À prier Dieu, répondait le pauvre, pour les honnêtes gens qui me donnent l’aumône. — Tu passes ta vie à prier Dieu ? disait don Juan ; si cela est, tu dois donc être fort à ton aise. — Hélas ! monsieur, je n’ai pas souvent de quoi manger. — Cela ne se peut pas, répliquait don Juan ; Dieu ne saurait laisser mourir de faim ceux qui le prient du soir au matin. Tiens, voilà un louis d’or ; mais je te le donne pour l’amour de l’humanité[5]. »

Cette scène, convenable au caractère impie de don Juan, mais dont les esprits faibles pouvaient faire un mauvais usage, fut supprimée à la seconde représentation, et ce retranchement fut peut-être cause du peu de succès de la pièce.

Celui qui écrit ceci a vu la scène écrite de la main de Molière, entre les mains du fils de Pierre Marcassus, ami de l’auteur.

Cette scène a été imprimée depuis[6].

  1. Don Juan de Molière fut joué quinze fois, et s’il cessa de paraître, il est probable que ce ne fut pas le goût du public qui en fut seul la cause. Voyez Œuvres complètes de Molière, édition Louis Moland, tome III, page 359.
  2. En 1677. La représentation est du 12 février. L’impression est de 1683.
  3. La version rimée de Thomas Corneille eut les honneurs du répertoire jusqu’au 15 janvier 1847.
  4. Acte III, scène ii.
  5. Voltaire n’avait pas vu la scène tout entière, telle que la donnaient les éditions hollandaises, où don Juan veut faire blasphémer le pauvre, qui refuse, mais telle seulement qu’elle était dans les exemplaires non cartonnés de l’édition des Œuvres de Molière de 1682, préparée par Lagrange et Vinot.
  6. Dès 1683, la pièce avait paru en Hollande avec les passages qui avaient été supprimés en France, Ce n’est qu’en 1813 que le texte primitif a été rétabli par M. Simonnin. (L. M.)

    — Je ne sais ce que c’est que cette impression de la scène dont parle Voltaire. (B.)

    — Pierre Marcassus était avocat et poëte dramatique ; il avait vécu dans l’intimité du père de Voltaire. (G. A.)