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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

Dans Plaute, Mercure dit à Sosie : « Tu viens avec des fourberies cousues. » Sosie répond : « Je viens avec des habits cousus. — Tu as menti, réplique le dieu ; tu viens avec tes pieds, et non avec tes habits. » Ce n’est pas là le comique de notre théâtre. Autant Molière paraît surpasser Plaute dans cette espèce de plaisanterie que les Romains nommaient urbanité, autant paraît-il aussi l’emporter dans l’économie de sa pièce. Quand il fallait chez les anciens apprendre aux spectateurs quelque événement, un acteur venait, sans façon, le conter dans un monologue : ainsi Amphitryon et Mercure viennent seuls sur la scène dire tout ce qu’ils ont fait pendant les entr’actes. Il n’y avait pas plus d’art dans les tragédies. Cela seul fait peut-être voir que le théâtre des anciens (d’ailleurs à jamais respectable) est, par rapport au nôtre, ce que l’enfance est à l’âge mûr.

Mme  Dacier, qui a fait honneur à son sexe par son érudition, et qui lui en eût fait davantage si avec la science des commentateurs elle n’en eût pas eu l’esprit, fit une dissertation pour prouver que l’Amphitryon de Plaute était fort au-dessus du moderne ; mais ayant ouï dire que Molière voulait faire une comédie des Femmes savantes, elle supprima sa dissertation.

L’Amphitryon de Molière réussit pleinement et sans contradiction : aussi est-ce une pièce faite pour plaire aux plus simples et aux plus grossiers comme aux plus délicats. C’est la première comédie que Molière ait écrite en vers libres. On prétendit alors que ce genre de versification était plus propre à la comédie que les rimes plates, en ce qu’il y a plus de liberté et plus de variété. Cependant les rimes plates en vers alexandrins ont prévalu. Les vers libres sont d’autant plus malaisés à faire qu’ils semblent plus faciles. Il y a un rhythme très-peu connu qu’il y faut observer, sans quoi cette poésie rebute. Corneille ne connut pas ce rhythme dans son Agésilas[1].


L’AVARE,


Comédie en prose et en cinq actes, représentée à Paris sur le théâtre
du Palais-Royal le 9 septembre 1668.


Cette excellente comédie avait été donnée au public en 1667[2] ; mais le même préjugé qui fit tomber le Festin de Pierre, parce qu’il était en prose, avait fait tomber l’Avare. Molière, pour ne

  1. Il le connut du moins dans Psyché.
  2. Il n’y a aucune trace de cela dans le registre de Lagrange.