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EXPOSITION DU LIVRE

faut absolument se rendre à cette démonstration expérimentale de M.  Jurin.

Il paraît que les expériences qui se font en temps égaux favorisent aussi pleinement l’ancienne doctrine. Que deux corps qui sont en raison réciproque de leur masse et de leur vitesse viennent se choquer : s’il fallait estimer la force motrice par le carré de la vitesse, il se trouverait que le mobile avec cent de masse et un de vitesse, rencontrant celui qui aurait cent de vitesse et un de masse, en serait prodigieusement repoussé, ce qui n’arrive jamais : car si les deux mobiles sont sans ressort, ils se joignent et s’arrêtent ; s’ils sont flexibles, ils rejaillissent également. Les leibnitziens ont tâché de ramener ce phénomène à leur système, en disant que les cent de vitesse se consument dans les enfoncements qu’ils produisent dans le corps qui a cent de masse.

Mais on répond aisément à cette évasion : Que le corps qui souffre ces enfoncements se rétablit s’il est à ressort, et rend toute cette force qu’il a reçue ; et, s’il n’est pas à ressort, il doit être entraîné par le corps qui l’enfonce, car le corps cent, supposé non élastique, n’ayant qu’un de vitesse, résiste bien par ses cent de masse au cent de vitesse du corps un ; mais il ne peut résister aux cent fois cent qu’on suppose au corps choquant : il faudrait alors qu’il cédât, et c’est ce qui n’arrive jamais.

Enfin M.  Jurin, ayant fait voir démonstrativement qu’il faut toujours faire mention du temps, et ayant imaginé cette expérience hors de toute exception, dans laquelle deux vitesses en un temps ne donnent qu’une force double, a défié publiquement tous ses adversaires d’imaginer un seul cas où une vitesse double pût en un temps donner quatre de force ; et il a promis de se rendre le disciple de quiconque résoudrait ce problème. On a entrepris de le résoudre d’une manière extrêmement ingénieuse.

On suppose une boule qui ait un de masse et deux de vitesse, et qui rencontre deux boules, dont chacune a deux de masse, de façon que la masse 1 communique tout son mouvement par le choc à ces masses doubles : or, dit-on, si cette masse 1, qui a deux de vitesse, communique à chacune des masses doubles un de vitesse, chacune de ces masses doubles aura donc deux de force, ce qui fait quatre ; la boule 1, qui n’avait que deux de force, aura donc donné plus qu’elle n’avait. Voilà donc, peut-on dire, une absurdité dans l’ancien système ; mais, dans le nouveau, le compte se trouve juste : car la boule 1, avec deux de vitesse, aura eu quatre de force, et n’a donné précisément que ce qu’elle possédait.