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REMARQUES.

Prend souvent pour idée un son vain et bizarre[1] ;
Et ce ne fut jamais que dans l’obscurité
Que l’Erreur s’écria : Je suis la Vérité.
.................
........Pourquoi donc le malheur
Est-il chez les humains le seul législateur[2] ?
Pourquoi créer le nom de vertus absolues[3] ?
.................
Locke[4] étudia l’homme. Il le prend au berceau,
L’observe en ses progrès, le suit jusqu’au tombeau,
Cherche par quel agent nos âmes sont guidées ;
Si les sens ne sont point les germes des idées.
Le mensonge jamais, sous l’appui d’un grand nom,
Ne put en imposer aux yeux de sa raison.
.................
Malbranche[5], plein d’esprit et de subtilité.
Partout étincelant de brillantes chimères,
Croit en vain échapper à ses regards sévères.
Dans ses détours obscurs, Locke le joint, le suit ;
Il raisonne, il combat ; le système est détruit.
.................
Locke vit les effets de l’orgueil impuissant,
Rendit l’homme moins vain, et l’homme en fut plus grand[6].
.................
Du chemin des erreurs Locke nous arracha,
Dans le sentier du vrai devant nous il marcha[7].
D’un bras il apaisa l’orgueil du platonisme,
De l’autre il rétrécit le champ du pyrrhonisme[8].

  1. Ce son vain et bizarre n’a nulle analogie à l’obscurité, et cela forme des métaphores incohérentes. C’est le défaut de la plupart des poètes anglais. Jamais les Romains n’y ont tombé. Jamais ni Boileau ni Racine ne se sont permis ces amas d’idées incompatibles. (Note de Voltaire.)
  2. Ce n’est point le malheur qui est le législateur des humains, c’est l’amour-propre. On dit bien que le malheur instruit ; mais alors il est précepteur, et non législateur. (Id.)
  3. Vertus absolues ne s’entend point du tout. Tout cet endroit manque encore de liaison et de clarté ; et sans ces deux qualités nécessaires il n’y a jamais de beauté. (Id.)
  4. L’endroit de Locke est bien : aussi les idées en sont-elles liées, les mots sont propres, et cela serait beau en prose. (Id.)
  5. L’endroit de Malebranche, bien écrit, parce qu’il est sagement écrit. (Id.)
  6. Ce n’est pas grande merveille que l’homme moins vain soit plus grand ; cela ne rend pas la belle devise de Locke : Scientiam minuit ut certiorem faceret : « Il diminua la science pour augmenter la certitude. » (Id.)
  7. Ce vers est beau. (Id.)
  8. Voilà deux vers admirables et que je retiendrai par cœur toute ma vie. Je vous demande même la permission de les citer dans une nouvelle édition des Éléments de Newton, à laquelle j’ajoute un petit traité de ce que pensait Newton