Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

aux petits esprits leur constante gravité, qui n’est que le masque de la médiocrité ?

Mais le président Bouhier était très-savant ; mais il ne ressemblait pas à ces savants insociables et inutiles, qui négligent l’étude de leur propre langue pour savoir imparfaitement des langues anciennes ; qui se croient en droit de mépriser leur siècle, parce qu’ils se flattent d’avoir quelque connaissance des siècles passés ; qui se récrient sur un passage d’Eschyle, et n’ont jamais eu le plaisir de verser des larmes à nos spectacles. Il traduisit le poëme de Pétrone sur la guerre civile ; non qu’il pensât que cette déclamation, pleine de pensées fausses, approchât de la sage et élégante noblesse de Virgile : il savait que la satire de Pétrone[1], quoique semée de traits charmants, n’est que le caprice d’un jeune homme obscur qui n’eut de frein ni dans ses mœurs ni dans son style. Des hommes qui se sont donnés pour des maîtres de goût et de volupté estiment tout dans Pétrone ; et M.  Bouhier, plus éclairé, n’estime pas même tout ce qu’il a traduit : c’est un des progrès de la raison humaine dans ce siècle qu’un traducteur ne soit plus idolâtre de son auteur, et qu’il sache lui rendre justice comme à un contemporain. Il exerça ses talents sur ce poëme, sur l’hymne à Vénus, sur Anacréon, pour montrer que les poëtes doivent être traduits en vers : c’était une opinion qu’il défendait avec chaleur, et on ne sera pas étonné que je me range à son sentiment. Qu’il me soit permis, messieurs, d’entrer ici avec vous dans ces discussions littéraires ; mes doutes me vaudront de vous des décisions. C’est ainsi que je pourrai contribuer au progrès des arts ; et j’aimerais mieux prononcer devant vous un discours utile qu’un discours éloquent.

Pourquoi Homère, Théocrite, Lucrèce, Virgile, Horace, sont-ils heureusement traduits chez les Italiens et chez les Anglais[2] ?

  1. Saint-Évremond admire Pétrone, parce qu’il le prend pour un grand homme de cour, et que Saint-Évremond croyait en être un : c’était la manie du temps. Saint-Évremond et beaucoup d’autres décident que Néron est peint sous le nom de Trimalcion ; mais en vérité, quel rapport d’un vieux financier grossier et ridicule, et de sa vieille femme, qui n’est qu’une bourgeoise impertinente, qui fait mal au cœur, avec un jeune empereur et son épouse, la jeune Octavie ou la jeune Poppée ? Quel rapport des débauches et des larcins de quelques écoliers fripons avec les plaisirs du maître du monde ? Le Pétrone, auteur de la satire, est visiblement un jeune homme d’esprit, élevé parmi des débauchés obscurs, et n’est pas le consul Pétrone. (Note de Voltaire.)
  2. Horace est traduit en vers italiens par (Stefano) Pallavicini ; Virgile, par Annibal Caro ; Ovide, par Anguillara ; Théocrite, par Ricolotti. Les Italiens ont cinq bonnes traductions d’Anacréon. À l’égard des Anglais, Dryden a traduit Virgile et Juvénal ; Pope, Homère ; Creech, Lucrèce, etc. (Id.)