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DISSERTATION SUR LES CHANGEMENTS

tous les minéraux de l’univers, pour y loger des huîtres et des pétoncles.

Il faudrait plus de temps que le déluge n’a duré pour lire tous les auteurs qui en ont fait de beaux systèmes ; chacun d’eux détruit et renouvelle la terre à sa mode, ainsi que Descartes l’a formée : car la plupart des philosophes se sont mis sans façon à la place de Dieu ; ils pensent créer un univers avec la parole.

Mon dessein n’est pas de les imiter, et je n’ai point du tout l’espérance de découvrir les moyens dont Dieu s’est servi pour former le monde, pour le noyer, pour le conserver ; je m’en tiens à la parole de l’Écriture, sans prétendre l’expliquer, et sans oser admettre ce qu’elle ne dit point : qu’il me soit permis d’examiner seulement, selon les règles de la probabilité, si ce globe a été et doit être un jour si absolument différent de ce qu’il est ; il ne s’agit ici que d’avoir des yeux.

J’examine d’abord ces montagnes que le docteur Burnet et tant d’autres regardent comme les ruines d’un ancien monde dispersé çà et là, sans ordre, sans dessein, semblable aux débris d’une ville que le canon a foudroyée ; je les vois au contraire arrangées avec un ordre infini d’un bout de l’univers à l’autre. C’est en effet une chaîne de hauts aqueducs continuels, qui, en s’ouvrant en plusieurs endroits, laissent aux fleuves et aux bras de mer l’espace dont ils ont besoin pour humecter la terre.

Du cap de Bonne-Espérance naît une suite de rochers qui s’abaissent pour laisser passer le Niger et le Zaïr, et qui se relèvent ensuite sous le nom du mont Atlas, tandis que le Nil coule d’une autre branche de ces montagnes. Un bras de mer étroit sépare l’Atlas du promontoire de Gibraltar, qui se rejoint à la Sierra-Morena ; celle-ci touche aux Pyrénées ; les Pyrénées, aux Cévennes ; les Cévennes, aux Alpes ; les Alpes, à l’Apennin, qui ne finit qu’au bout du royaume de Naples ; vis-à-vis sont les montagnes d’Épire et de la Thessalie. À peine avez-vous passé le détroit de Gallipoli que vous trouvez le mont Taurus, dont les branches, sous le nom de Caucase, de l’Immaüs, etc., s’étendent aux extrémités du globe : c’est ainsi que la terre est couronnée en tout sens de ces réservoirs d’eau, d’où partent sans exception toutes les rivières qui l’arrosent et qui la fécondent ; et il n’y a aucun rivage à qui la mer fournisse un seul ruisseau de son eau salée.

Burnet fit graver une carte de la terre divisée en montagnes au lieu de provinces : il s’efforce, par cette représentation et par ses paroles, de mettre sous les yeux l’image du plus horrible désordre ; mais de ses propres paroles, comme de sa carte, on ne