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ANECDOTES SUR LOUIS XIV.

soutint ses disgrâces comme un homme qui n’aurait jamais connu de prospérité. Il perdit son fils unique en 1711, et il vit périr en 1712, dans l’espace d’un mois, le duc de Bourgogne son petit-fils, la duchesse de Bourgogne, et l’aîné de ses arrière-petits-fils. Le roi, son successeur, qu’on appelait alors le duc d’Anjou, fut aussi à l’extrémité. Leur maladie était une rougeole maligne, dont furent attaqués en même temps M. de Seignelai, Mlle d’Armagnac, M. de Listenai ; Mme de Gondrin, qui a été depuis comtesse de Toulouse, Mme de La Vrillière, M. le duc de La Trimouille, et beaucoup d’autres personnes à Versailles. M. le marquis de Gondrin en mourut en deux jours. Plus de trois cents personnes en périrent à Paris. La maladie s’étendit dans presque toute la France. Elle enleva en Lorraine deux enfants du duc. Si on avait voulu seulement ouvrir les yeux et faire la moindre réflexion, on ne se serait pas abandonné aux calomnies abominables qui furent si aveuglément répandues ; elles furent la suite du discours imprudent d’un médecin nommé Boudin, homme de plaisir, hardi, et ignorant, qui dit que la maladie dont ces princes étaient morts n’était pas naturelle. C’est une chose qui m’étonne toujours que les Français, qui sont aujourd’hui si peu capables de commettre de grands crimes, soient si prompts à les croire. Le fameux chimiste Homberg, vertueux philosophe, et d’une simplicité extrême, fut tout étonné d’entendre dire qu’on le soupçonnait ; il courut vite à la Bastille s’y constituer prisonnier : on se moqua de lui, et on n’eut garde de le recevoir ; mais le public, toujours téméraire, fut longtemps imbu de ces bruits horribles, dont la fausseté reconnue devrait apprendre aux hommes à juger moins légèrement, si quelque chose peut corriger les hommes.

Un des malheurs de la fin du règne de Louis XIV fut le dérangement des finances ; il commença dès l’an 1689. On fit porter tous les meubles d’argent orfévris à la Monnaie, en dépouillant sa galerie et son grand appartement de tous ces meubles admirables d’argent massif, sculptés par Ballin, sur les dessins du fameux Lebrun ; et de tout cela on ne retira que trois millions de profit. On établit la capitation en 1695 : on fit des tontines. M. de Pontchartrain, en 1696, vendit des lettres de noblesse à qui en voulait pour deux mille écus, et ensuite on taxa à vingt francs la permission d’avoir un cachet.

Dans la guerre de 1701 l’épuisement parut extrême, M. Desmarets fut un jour réduit à prendre cent mille francs qui étaient en dépôt chez les chartreux, et à mettre à la place des billets de monnaie, dans un besoin pressant de l’État. Si on avait commencé