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PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV.

verain comme d’un particulier : on peut aimer un citoyen médiocre ; une nation n’aimera pas longtemps un prince qui ne sera pas un grand prince.

Ce temps sera toujours présent à la mémoire, où il commença à gouverner et à combattre ; ce temps où les fatigues réunies du cabinet et de la guerre le mirent au bord du tombeau. On se souvient de ces cris de douleur et de tendresse, de cette désolation, de ces larmes de toute la France, de cette foule consternée, qui, se précipitant dans les temples, interrompait par ses sanglots les prières publiques, tandis que le prêtre pleurait en les prononçant, et pouvait les achever à peine.

Au bruit de sa convalescence, avec quel transport nous passâmes de l’excès du désespoir à l’ivresse de la joie ! Jamais les courriers qui ont apporté les nouvelles des plus grandes victoires ont-ils été reçus comme celui qui vint nous dire : Il est hors de danger ! Les témoignages de cet amour venaient de tous côtés au monarque ; ceux qui l’entouraient lui en parlaient avec des larmes de joie ; il se souleva soudain par un effort dans ce lit de douleur où il languissait encore : « Qu’ai-je donc fait, s’écria-t-il, pour être ainsi aimé ? » Ce fut l’expression naïve de ce caractère simple, qui, n’ayant de faste ni dans la vertu, ni dans la gloire, savait à peine que sa grande âme fût connue.

Puisqu’il était ainsi aimé, il méritait de l’être. On peut se tromper dans l’admiration, on peut trop se hâter d’élever des monuments de gloire, on peut prendre de la fortune pour du mérite ; mais, quand un peuple entier aime éperdument, peut-il errer ? Le cœur du prince sentit ce que voulait dire ce cri de la nation : la crainte universelle de perdre un bon roi lui imposait la nécessité d’être le meilleur des rois. Après un triomphe si rare, il ne fallait pas une vertu commune.

C’est à la nation à dire s’il a été fidèle à cet engagement que son cœur prenait avec les nôtres, c’est à elle de se rendre compte de sa félicité.

Il se trouvait engagé dans une guerre malheureuse, que son conseil avait entreprise pour soutenir un allié[1] qui depuis s’est

    Panard, qu’il l’a pris pour refrain du vaudeville des Fêtes sincères. Au reste, quand le prince mourut, voici comment ce mot fut employé :

         Ci-gît Louis le quinzième,
    Du nom de Bien-Aimé le deuxième ;
         Dieu nous préserve d’un troisième ! (B.)                    

  1. L’électeur de Bavière.