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DES EMBELLISSEMENTS DE PARIS.

sens, la ville de Paris n’en est pas moins opulente. Henri IV avait 40 millions de livres de son temps dans ses coffres ; ce n’est pas exagérer que de dire que les citoyens de Paris en possèdent six fois autant, pour le moins, en argent monnayé. Ce n’est donc pas au roi, c’est à nous de contribuer à présent aux embellissements de notre ville : les riches citoyens de Paris peuvent la rendre un prodige de magnificence, en donnant peu de chose de leur superflu. Y a-t-il un homme aisé qui ait le front de dire : Je ne veux pas qu’il m’en coûte cent francs par an pour l’avantage du public et pour le mien ? S’il y a un homme assez lâche pour le penser, il ne sera pas assez effronté pour le dire. Il ne s’agit donc que de lever les fonds nécessaires ; et il y a cent façons entre lesquelles ceux qui sont au fait peuvent aisément choisir.

Que le corps de ville demande seulement permission de mettre une taxe modérée et proportionnelle sur les habitans, ou sur les maisons, ou sur les denrées : cette taxe presque insensible pour embellir notre ville sera, sans comparaison, moins forte que celle que nous supportions pour voir périr nos compatriotes sur le Danube ; que ce même Hôtel de Ville emprunte en rente viagères, en rentes tournantes, quelques millions qui seront un fonds d’amortissement ; qu’il fasse une loterie bien combinée ; qu’il emploie une somme fixe tous les ans ; que le roi daigne ensuite, quand ses affaires le permettront, concourir à ces nobles travaux, en affectant à cette dépense quelques parties des impôts extraordinaires que nous avons payés pendant la guerre, et que tout cet argent soit fidèlement économisé ; que les projets soient reçus au concours ; que l’exécution soit au rabais : il sera facile de démontrer qu’on peut, en moins de dix ans, faire de Paris la merveille du monde.

Le conte que l’on fait du grand Colbert qui, en peu de mois, mit de l’argent dans les coffres du roi, par les dépenses même d’un carrousel, est une fable : car les fermes n’étaient point régies pour le compte du roi ; d’ailleurs, on n’aurait pu s’apercevoir qu’à la longue de ce bénéfice ; mais c’est une fable qui a un très-grand sens, et qui montre une vérité palpable.

Il est indubitable que de telles entreprises peupleront Paris de quatre ou cinq mille ouvriers de plus, qu’il en viendra encore des pays étrangers : or la plupart arrivent avec leurs familles ; et si ces artistes gagnent 1,500,000 francs, ils en rendent un million à l’État par leurs dépenses, par la consommation des denrées. Le mouvement prodigieux d’argent que ces entreprises opéreraient dans Paris augmenterait encore de beaucoup le produit des