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LETTRE À L’OCCASION

tements de votre secrétaire. Quelqu’un de nous fit réflexion qu’il y avait dans Paris cinq ou six cents soupers qui ne cédaient guère au vôtre. Cette idée ne vous déplut point : vous n’êtes pas de ceux qui ne voudraient qu’eux d’heureux sur la terre.

Un homme de mauvaise humeur prit ce temps-là, assez mal à propos, pour dire qu’il y avait aussi dans les quatrièmes étages bien des familles qui faisaient mauvaise chère. Nous lui fermâmes la bouche en lui prouvant qu’il faut absolument qu’il y ait des pauvres, et que la magnificence d’une maison comme la vôtre suffisait pour faire vivre dans Paris deux cents ouvriers, au moins, de ce qu’ils gagnaient avec vous.

On remarqua ensuite que ce qui rend Paris la plus florissante ville du monde n’est pas tant ce nombre d’hôtels magnifiques où l’opulence se déploie avec quelque faste, que ce nombre prodigieux de maisons particulières où l’on vit avec une aisance inconnue à nos pères, et à laquelle les autres nations ne sont pas encore parvenues. Comparons, en effet, Paris et Londres, qui est sa rivale en étendue de terrain, et qui est assurément bien loin de l’être en splendeur, en goût, en somptuosité, en commodités recherchées, en agréments, en beaux-arts, et surtout dans l’art de la société. Je ne craindrai point de me tromper en assurant qu’il y a cinq cents fois plus d’argenterie chez les bourgeois de Paris que chez les bourgeois de Londres. Votre notaire, votre procureur, votre marchand de drap, sont beaucoup mieux logés, mieux meublés, mieux servis, qu’un magistrat de la première cité d’Angleterre.

Il se mange en un soir, à Paris, plus de volailles et de gibier que dans Londres en une semaine ; il s’y brûle peut-être mille fois plus de bougies : car à Londres, si vous exceptez le quartier de la cour, on ne connaît que la chandelle. Je ne parlerai point des autres capitales. Amsterdan, la plus peuplée de toutes après Londres, est le pays de la parcimonie ; Vienne et Madrid ne sont que des villes médiocres ; Rome n’est guère plus peuplée que Lyon, et je doute fort qu’elle soit aussi riche. En faisant ces réflexions, nous jouissions du plaisir de nous rendre compte de notre félicité, et si Rome a de plus beaux édifices, Londres des flottes plus nombreuses, Amsterdam de plus grands magasins, nous convînmes qu’il n’y a point de ville sur la terre où un aussi grand nombre de citoyens jouisse de tant d’abondance, de tant de commodités, et d’une vie si délicieuse.

L’examen assez long que nous fîmes des richesses de Paris nous conduisit à parler des autres villes du royaume ; et ceux des