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ASSAUT.

On saisit, on reprend, par un contraire effort,
Ce rempart teint de sang, théâtre de la mort ;
Dans ses fatales mains la victoire incertaine
Tient encor près des lis l’étendard de Lorraine.
Les assiégeants surpris sont partout renversés,
Cent fois victorieux, et cent fois terrassés :
Pareils à l’océan poussé par les orages,
Oui couvre à chaque instant et qui fuit ses rivages.


Il est visible que l’auteur a jouté contre le grand peintre Homère dans cette description : car, comme Homère s’attache à animer tout, et à peindre toutes les choses qui étaient en usage de son temps, le poëte français entre dans les détails de toutes les machines dont nous nous servons : chemin couvert attaqué, fascines portées, mines, bombes, tout est exprimé.

Mettons en parallèle ce morceau épique avec la traduction d’une description à peu près semblable dans l’Iliade, et voyons comment Lamotte a rendu le poète grec.


Sous des chefs différents il range cinq cohortes,
Dont l’égale valeur assiège autant de portes.
Sur les nouveaux remparts l’Argien, plus vaillant,
De tout côté s’oppose aux coups de l’assaillant,
Hector veut le premier forcer avec Énée
La porte qu’occupaient Ulysse, Idoménée,
Digne de Jupiter, qui lui donna le jour ;
Sarpedon cherche Ajax jusqu’au haut d’une tour.
C’est en vain que des murs tombe une horrible grêle ;
C’est en vain que la pierre avec les traits se mêle :
Rien ne peut réussir a les décourager ;
La gloire à leurs regards efface le danger.
Appuyés l’un de l’autre, ils montent aux murailles ;
Les fossés sont bientôt comblés de funérailles.
Plusieurs tombent mourants qui s’estiment heureux
D’aider leurs compagnons à s’élever sur eux.
    « Courage, mes amis, criait le roi de Pile,
Courage, défendez notre dernier asile ;
Soutenez bien l’honneur de vos premiers exploits ;
Vos femmes, vos enfants, vous pressent par ma voix.
Jupiter d’Ilion nous promit la ruine :
Ne faites point mentir la promesse divine. »
    Le bruit ne laissait pas distinguer ses discours,
Mais le son de sa voix les animait toujours.
    Des Troyens cependant l’opiniâtre audace
Rend effort pour effort, menace pour menace ;