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LETTRES FAMILIÈRES.

par cette victoire, à la couronne d’Espagne. Vous n’avez pas mal fait votre cour au roi votre maître à Versailles ; et le roi votre souverain en paraît presque aussi content ici que si vous l’aviez gagnée aux portes de Londres pour son rétablissement. Je ne sais comment vous vous trouvez de tout cela ; mais, pour moi, je vous en fais de bon cœur mon compliment. Il est vrai que vous vous portez bien, et que dans une mêlée où vous avez eu le plaisir de vous fourrer bien avant, vous n’avez pu vous faire donner quelque balafre au milieu du visage, ou parvenir à quelque incision cruciale au haut de la tête, et ce n’est pas contentement pour un homme avide de gloire. Je vous conseille pourtant de ne vous en point chagriner, et de prendre le tout en patience.

J’avais cru, lorsque vous vous fîtes naturaliser en France, que c’était pour mettre à couvert vos biens immenses, en cas d’accident ; mais je vois bien que ce n’était que pour pouvoir exterminer sans scrupule tout autant d’Anglais de la princesse Anne qui se trouveraient en votre chemin, et c’est fort bien fait à vous. Cependant, si je n’avais peur de vous mortifier, je vous dirais que, quoiqu’on parle beaucoup de vous ici, on ne laisse pas de parler diversement de votre conduite. Les uns disent que vous êtes trop insolent et que vous faites trop l’entendu à l’égard des ennemis ; et les autres assurent que vous ne vous faites pas assez valoir auprès de ceux qui vous veulent du bien et qui vous en peuvent faire. Quoiqu’il n’y ait pas grand mal à tout cela, examinons un peu vos actions depuis que vous êtes dans le service, pour voir si on vous accuse avec raison :

Lorsqu’à Nervinde on combattit,
Et que l’Angleterre alarmée
Eut appris par la renommée
La disgrâce qu’elle y souffrit,
Tout son parlement en pâlit ;
Mais Votre Excellence, animée
Par les dangers et par le bruit,
Par les canons et leur fumée ;
Mais plus que tout cela charmée
De voir leur Orange interdit,
Se mit en tête, à ce qu’on dit.
De prendre toute son armée ;
Mais ce fut elle qui vous prit, etc.