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LIBERTÉ.

Ces deux vers-là son d’un poëte ; mais celui-ci est d’un homme plus pénétré :

Qu’il devient scélérat quand Delphes l’a prédit.

Il suffisait de quatre vers de cette force dans la bouche d’Œdipe ; le reste ressent trop la déclamation, ce qui était en effet le grand défaut de Corneille. Ce qu’on a jamais écrit de plus grand et de plus sublime sur la liberté se trouve au septième chant de la Henriade (285-96) :

Sur un autel de fer, un livre inexpliquable
Contient de l’avenir l’histoire irrévocable.
La main de l’Éternel y marqua nos désirs,
Et nos chagrins cruels, et nos faibles plaisirs.
On voit la liberté, cette esclave si fière,
Par d’invincibles[1] nœuds en ces lieux prisonnière :
Sous un joug inconnu, que rien ne peut briser,
Dieu sait l’assujettir sans la tyranniser ;
À ses suprêmes lois d’autant mieux attachée
Que sa chaîne à ses yeux pour jamais est cachée.
Qu’en obéissant même elle agit par son choix,
Et souvent aux destins pense donner des lois.

Il me semble qu’on ne peut présenter sous une image plus parfaite cet accord inexplicable de la liberté de l’homme et de la prescience[2] de Dieu, et qu’un tel morceau vaut mieux que vingt volumes de controverse sur ces matières inintelligibles.

Un fils de l’illustre Racine a fait un poème sur la Grâce, dans lequel il était bien naturel qu’il parlât de la liberté. Cependant il n’y a aucun trait frappant qui caractérise cet attribut de la nature humaine, que tant de philosophes lui contestent.

Voici le morceau de ce poème où l’auteur traite de la liberté, d’une manière plus particulière :


Si l’on en croit pourtant un système flatteur,
Pour le bien et le mal l’homme également libre
Conserve, quoi qu’il fasse, un constant équilibre.
Lorsque, pour l’écarter des lois de son devoir,
Les passions sur lui redoublent leur pouvoir,

  1. On lit invincibles dans toutes les éditions de l’opuscule intitulé Connaissance des beautés, etc. ; mais c’est une fausse citation. Toutes les éditions de la Henriade portent invisibles. (B.)
  2. Toutes les éditions, même celles de 1749 et 1750, portent ici présence. Mais il m’a paru évident qu’il faut prescience ; et j’ai mis ce mot. (B.)