Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
TRADUCTIONS.

Au premier livre (17-26), Virgile, dans la description de la tempête, s’exprime ainsi :

             Laxis laterum compagibus omnes
Accipiunt inimicum imbrem, rimisque fatiscunt.

L’abbé Desfontaines traduit : « Tous les vaisseaux fracassés et entrouverts font eau de toutes parts, et sont près d’être engloutis. »

Virgile n’a pas eu certainement l’inattention de dire qu’un vaisseau fracassé était entr’ouvert. S’il est fracassé, c’est bien pis que de s’entrouvrir. Le moins ne se souffre pas après le plus. Font eau de toutes parts : Quelle plate expression ! rend-elle l’idée de Virgile ? L’onde ennemie est reçue dans les flancs entr’ouverts. Que ne traduisait-il mot à mot ; il eût au moins donné une idée faible, mais vraie, de Virgile :

Tantane vos generis tonuit fiducia vestri ? (v. 136.)

Quelle confiance audacieuse votre naissance vous inspire ?

L’abbé Desfontaines dit : Race téméraire, qui vous inspire tant d’audace ?

Ce n’est pas là le sens de son auteur.

            Hic fessas non vinciila naves
Ulla tenent, unco non alligat anchora morsu.
(172-73.)

« Dans cette rade, les vaisseaux n’ont besoin ni d’ancres ni de câbles. »

Premièrement, il n’est point ici question d’une rade ; il s’agit d’un très-beau port que Virgile peint admirablement ; et c’est même, comme on sait, le port de Naples, qu’il se plut à décrire sous le nom de port de Carthage.

Secondement, quelle platitude ! n’ont besoin ni d’ancres ni de câbles. Virgile dit dans son style, toujours figuré, animé, et métaphorique :

Les vaisseaux fatigués n’y sont retenus ni par des liens, ni par l’ancre recourbée qui mord l’arène.

Optata potiuntur Troes arena. (176.)

Les Troyens jouissent enfin du rivage.

Desfontaines dit : « Les Troyens descendirent avec empressement. »

Suscepitque ignem foliis, atque arida circum
Nutrimenta dedit, rapuitque in fomite flammam.
(179-80.)