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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

vérité, un si grand crime que la calomnie, mais qui est une offense souvent aussi cruelle. Chaque particulier est jaloux justement de sa réputation, non-seulement de la réputation d’honneur, mais de celle de n’être point ridicule dans son art, dans son emploi, dans la société civile ; le public, composé d’hommes qui ont tous le même intérêt, prend à la longue, et même hautement, le parti de quiconque a été injustement immolé à la satire.

Quand on lit les opéras charmants de Quinault, la comédie excellente de la Mère coquette, ce modèle des pièces d’intrigues ; quand on étudie les bons ouvrages de MM. Perrault, comme le Vitruve et tant de savantes recherches de ces deux frères : lorsqu’on sait enfin quelles étaient leurs mœurs, il faut bien aimer les vers corrects de Despréaux pour ne pas haïr alors sa personne. Mais quel sentiment éprouverait-on pour des écrivains qui, avec moins de talent, ou sans talent même, passeraient leur vie à déchirer leurs bienfaiteurs, leurs amis, tous leurs contemporains, et qui des belles-lettres, destinées pour adoucir les mœurs des hommes, feraient l’instrument continuel de la malignité et de la férocité !

Nous voudrions nous borner à de telles plaintes ; mais il faut venir à ces impostures plus criminelles dont on va peut-être presser la punition dans les tribunaux de la justice, et sur lesquelles il ne faut pas laisser ici le moindre doute, puisque le doute en matière d’honneur est un affront certain.


SECONDE PARTIE.


Le sieur Desfontaines, dans son libelle, appelle celui qu’il a voulu perdre fou, impie, téméraire, brutal, fougueux, détracteur, voleur, enragé ; il ajoute encore un et cætera à cet amas d’injures. On ne s’en plaindra point ici : des injures vagues sont-elles autre chose que des traits lancés maladroitement, qui ne blessent que celui qui les décoche ? Qu’il appelle M. de Voltaire petit-fils d’un paysan, l’auteur de la Henriade n’en sera pas plus ému[1]. Uniquement occupé de l’étude, il ne cherche point la gloire de la naissance : content, comme Horace[2], de ses parents, il n’en aurait jamais demandé d’autres au ciel, et il ne réfuterait pas ici ce vain

  1. Ce qui suit, est reproduit dans le Mémoire sur la Satire.
  2. Meis contentus, Horace, livre Ier, satire vi, vers 96.