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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

d’un ministre d’État. Ce ministre était un jésuite chassé de son ordre, qui s’était réfugié en Hollande, sous le nom de La Hode, qui s’est fait ensuite secrétaire d’État de France en Hollande pour avoir du pain[1].

XV. Comme il faut toujours imiter les bons modèles, et que le chancelier Clarendon et le cardinal de Retz[2] ont fait des portraits des principaux personnages avec lesquels ils avaient traité, on ne doit pas s’étonner que les écrivains d’aujourd’hui, quand ils se mettent aux gages d’un libraire, commencent par donner tout au long des portraits fidèles des princes de l’Europe, des ministres, et des généraux, dont ils n’ont jamais vu passer la livrée. Un auteur anglais, dans les Annales de l’Europe, imprimées et réimprimées, nous assure que Louis XV n’a pas cet air de grandeur qui annonce un roi. Cet homme assurément est difficile en physionomie ; mais en récompense il dit que le cardinal de Fleury avait l’air d’une noble confiance.

XVI. Il est aussi exact sur les caractères et sur les faits que sur les figures ; il instruit l’Europe que le cardinal de Fleury donna son titre de premier ministre (qu’il n’a jamais eu) à M. le comte de Toulouse. Il nous apprend que l’on n’envoya l’armée du maréchal de Maillebois en Bohême que parce qu’une demoiselle de la cour avait laissé une lettre sur sa table, et que cette lettre fit connaître la situation des affaires ; il dit que le comte d’Argenson succéda dans le ministère de la guerre à M. Amelot. Je crois que, si on voulait rassembler tous les livres écrits dans ce goût, pour se mettre un peu au fait des anecdotes de l’Europe, on ferait une bibliothèque immense dans laquelle il n’y aurait pas dix pages de vérité.

XVII. Une autre partie considérable du commerce du papier imprimé est celle des livres qu’on a appelés Polémiques, par excellence, c’est-à-dire de ceux dans lesquels on dit des injures à son prochain pour gagner de l’argent. Je ne parle pas des factums des avocats, qui ont le noble droit de décrier tant qu’ils peuvent la partie adverse, et de diffamer loyalement des familles ; je parle de ceux qui, en Angleterre par exemple, excités par un amour ardent de la patrie, écrivent contre le ministère des philippiques de Démosthène dans leurs greniers. Ces pièces se vendent deux sous la feuille ; on en tire quelquefois quatre mille exemplaires, et cela fait toujours vivre un citoyen éloquent un

  1. Dans son Histoire de la rébellion et de la guerre civile en Angleterre, 1702.
  2. Voyez tome XVI, page 388.