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DES ÉTRENNES DE LA SAINT-JEAN.

— Dans quel ordre ? dit Mme Formé.

— Dans l’ordre[1], dit M. Rigou. Mais il y a, continua-t-il, une étrange destinée dans ce monde. J’ai résumé toute l’économie de Paméla et de l’École de la jeunesse, et j’ai droit de conclure que cela n’est pas plus mauvais que la Gouvernante, Amour pour amour, l’École des amis[2], et autres ouvrages dudit auteur ; et, puisqu’il faut parler selon la saine raison, je dirai avec confiance que toutes ces pièces, si ennuyeuses à la lecture, sont cependant aussi bien, ou, si vous voulez, aussi mal conduites que le Préjugé à la mode[3], qui produisit à nos seigneurs une très-grosse recette. Car enfin, mesdames, y a-t-il rien de plus impertinent qu’un homme qui est le maître dans son château, qui n’a pour compagnie que deux misérables petits-maîtres les plus sots de tous les hommes, qui aime éperdument sa femme et n’ose pas lui en dire un mot de crainte d’être plaisanté par ces deux faquins ? Ce fondement seul de la pièce n’est-il pas extravagant ? Je vais le prouver par plusieurs raisons…

— Ah ! monsieur l’avocat, s’écria Mme Formé, prouvez qu’il me faut payer mon rôti !

— Et morbleu ! reprit Mlle La Motte, allez-vous-en, mademoiselle…, chez l’auteur ; et qu’il vous paye.

— Ah, juste ciel ! dit Mme Formé, quelle proposition ! Jamais auteur a-t-il payé des parties de rôtisseurs ?

— Vous vous moquez, insista Mlle La Motte ; cet auteur-là est très-modeste et très-poli ; il ne serait[4] supérieur qu’à Molière, et vous en serez fort contente.

— Et qu’a de commun sa modestie avec de l’argent comptant ? dit Mme Formé ; quelles raisons sont-ce là ? quel persiflage !

— Persiflage ! dit Mlle La Motte ; voilà un grand mot : en savez-vous la force ? »

Monsieur l’avocat prononça alors que ce nouveau mot ne donnait pas beaucoup de choses à entendre, mais beaucoup de choses à n’entendre pas. « Il faut consulter sur cela, dit-il, l’auteur de Catilina, de Xerxès, Pyrrhus[5], et beaucoup d’illustres modernes.

  1. Voyez, tome XVI, page 73, et, ci-après, la Conversation de l’intendant des menus.
  2. La Gouvernante est de 1717 ; Amour pour amour, de 1742 ; l’École des amis, de 1737. Ces trois pièces sont de La Chaussée.
  3. Comédie de La Chaussée, jouée en 1733 ; voyez ce qui en est dit tome V du Théâtre, page 393 ; et tome XVII, page 420.
  4. On lit serait dans le texte qui fait partie des Choses utiles et agréables ; M. Clogenson a suivi aussi ce texte. Mais peut-être faudrait-il se croit ? (B.)
  5. Xerxès ; joué en 1714 ; Pyrrhus, joué en 1726, sont de Crébillon.