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MÉMOIRE DU SIEUR DE VOLTAIRE.

tant de poisons composer un poison mortel qui, selon vous, flétrira à jamais, qui anéantira parmi les hommes l’honneur d’un homme que ses services vous ont rendu insupportable ! Le sieur de Saint-Hyacinthe serait bien malheureux, sans doute, s’il était l’auteur des libelles que vous lui imputez ; s’il avait outragé un homme qui ne l’a jamais offensé ; s’il avait augmenté le nombre de ces brochures criminelles qui sont la honte de la littérature et de l’humanité. Il est certain que la Hollande en a été trop longtemps infectée ; les magistrats commencent à réprimer les progrès de cette contagion : elle s’est glissée jusque dans plusieurs journaux. Quelque soin que la prudence humaine apporte à prévenir ce mal, il est difficile d’en étouffer les semences : la pauvreté, la liberté d’écrire, la jalousie, sont trois sources intarissables de libelles ; un grand mal en est la suite. Ces libelles servent quelquefois d’autorité dans l’histoire des gens de lettres ; l’illustre Bayle lui-même s’est abaissé jusqu’à en faire usage. On est donc réduit à la nécessité d’arrêter dans leur source, autant que l’on peut, le cours de ces eaux empoisonnées. On les arrête en les faisant connaître ; on prévient le jugement de la postérité, car tout homme public, soit ceux qui gouvernent, soit ceux qui écrivent, soit le ministre, soit l’auteur, ou le poëte, ou l’historien, doit toujours se dire à soi-même : Quel jugement la postérité pourra-t-elle faire de ma conduite ? C’est sur ce principe que tant de ministres et de généraux ont écrit des mémoires justificatifs ; que tant d’orateurs, de philosophes et de gens de lettres, ont fait leur apologie. Imitons-les, quelque grande distance qui soit entre eux et nous. Le devoir est le même. Pardonnez donc, encore une fois, lecteur qui jetterez les yeux sur cet écrit ; excusez des choses personnelles que la nécessité d’une juste défense arrache à un citoyen connu de vous par un travail assidu de vingt-cinq années, et qui, du fond de son cabinet, où il ne cherche qu’à s’instruire et à vous servir, porte au public, aux magistrats, à monseigneur le chancelier, père des lettres et des lois, des plaintes qui ne seront point étouffées par la calomnie.

Le sieur Desfontaines a-t-il rendu sa cause meilleure en rapportant encore dans son libelle quelques nouveaux vers du sieur Rousseau, qu’il qualifie d’épigramme, tels que ceux-ci, dans lesquels il fait parler l’abbé Desfontaines ?

              Petit rimeur anti-chrétien,
              On reconnaît dans tes ouvrages
              Ton caractère et non le mien.
Ma principale faute, hélas ! je m’en souvien,