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PENSÉES

ou cinquième main : c’est l’antichambre d’un commis, ou d’un secrétaire d’un intendant, qui cause les murmures ; c’est parce qu’on a reçu dans un palais la rebuffade d’un valet insolent qu’on gémit sur les campagnes désolées.

XVI. (XIV.)

Les Anglais reprochent aux Français de servir leurs maîtres gaiement. Voici ce qu’on a écrit en Angleterre de plus beau sur cette matière :

A nation here I pity and admire[1],
Whom noblest sentiments of glory fire;
Yet taught by custom’s force, and bigot fear,
To serve with pride, and boast the yoke they bear;
Whose nobles born to cringe and to command,
In courts a mean, in camps a gen’rous band,
From priests and stock-jobbers content receive
Those laws their dreaded arms to Europe give:
Whose people vain in want, in bondage blest;
Tho’ plunder’d, gay ; industrious, tho’ opprest;
With happy follies rise above their fate;
The jest and envy of a wiser state.

On pourrait rendre ainsi le sens de ces vers :

Tel est l’esprit français ; je l’admire et le plains.
Dans son abaissement quel excès de courage !
La tête sous le joug, les lauriers dans les mains,
Il chérit à la fois la gloire et l’esclavage.
Ses exploits et sa honte ont rempli l’univers :
Vainqueur dans les combats, enchaîné par ses maîtres,
Pillé par des traitants, aveuglé par des prêtres ;
Dans la disette il chante : il danse avec ses fers.
Fier dans la servitude, heureux dans sa folie,
De l’Anglais libre et sage il est encor l’envie.

Voici la réponse à toutes ces déclamations dont les poésies anglaises, les brochures et les sermons, sont remplis. Il est très-naturel d’aimer une maison qui règne depuis près de huit cents années. Plusieurs étrangers, et même des Anglais, sont venus s’établir en France uniquement pour y vivre heureux.

  1. Ces vers sont de Middleton ; voyez, plus loin, la vingt-sixième des Honnêtetés littéraires.