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DE MILORD BOLINGBROKE.

nons garde que le mépris et l’indignation que de pareils écrits leur inspirent ne les affermissent dans leurs sentiments.

Ajoutons un nouveau motif à ces considérations : c’est que cette foule de déistes qui couvre l’Europe est bien plus près de recevoir nos vérités que d’adopter les dogmes de la communion romaine. Ils avouent tous que notre religion est plus sensée que celle des papistes. Ne les éloignons donc pas, nous qui sommes les seuls capables de les ramener ; ils adorent un dieu, et nous aussi ; ils enseignent la vertu, et nous aussi. Ils veulent qu’on soit soumis aux puissances, qu’on traite tous les hommes comme des frères ; nous pensons de même, nous parlons des mêmes principes. Agissons donc avec eux comme des parents qui ont entre les mains les titres de la famille, et qui les montrent à ceux qui, descendus de la même origine, savent seulement qu’ils ont le même père, mais qui n’ont point les papiers de la maison.

Un déiste est un homme qui est de la religion d’Adam, de Sem, de Noé. Jusque-là il est d’accord avec nous. Disons-lui : Vous n’avez qu’un pas à faire de la religion de Noé aux préceptes donnés à Abraham. Après la religion d’Abraham, passez à celle de Moïse, à celle du Messie ; et, quand vous aurez vu que la religion du Messie a été corrompue, vous choisirez entre Wiclef, Luther, Jean Hus, Calvin, Mélanchthon, Œcolampade, Zuingle, Storck, Parker, Servet, Socin, Fox, et d’autres réformateurs : ainsi vous aurez un fil qui vous conduira dans ce grand labyrinthe, depuis la création de la terre jusqu’à l’année 1752. S’il nous répond qu’il a lu tous ces grands hommes, et qu’il aime mieux être de la religion de Socrate, de Platon, de Trajan, de Marc-Aurèle, de Cicéron, de Pline, etc., nous le plaindrons, nous prierons Dieu qu’il l’illumine, et nous ne lui dirons point d’injures. Nous n’en disons point aux musulmans, aux disciples de Confucius. Nous n’en disons point aux juifs mêmes, qui ont fait mourir notre dieu par le dernier supplice ; au contraire, nous commerçons avec eux, nous leur accordons les plus grands priviléges. Nous n’avons donc aucune raison pour crier avec tant de fureur contre ceux qui adorent un dieu avec les musulmans, les Chinois, les juifs, et nous, et qui ne reçoivent pas plus notre théologie que toutes ces nations ne la reçoivent.

Nous concevons, bien qu’on ait poussé des cris terribles, dans le temps que d’un côté on vendait les indulgences et les bénéfices, et que de l’autre on dépossédait des évêques et qu’on forçait les portes des cloîtres. Le fiel coulait alors avec le sang : il s’agissait de conserver ou de détruire des usurpations ; mais nous