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HISTOIRE

a fait un mauvais tableau. Ô jeune homme ! que vous êtes dur et injuste ! Le duc d’Orléans, régent de France, ne paya-t-il pas magnifiquement le barbouillage dont Coypel orna la galerie du Palais-Royal ? Un client prive-t-il d’un juste salaire son avocat, parce qu’il a perdu sa cause ? Un médecin promet ses soins, et non la guérison. Il fait ses efforts, et on les lui paye. Quoi ! seriez-vous jaloux, même des médecins ?

Que dirait, je vous prie, un homme qui aurait, par exemple, douze cents ducats de pension pour avoir parlé de mathématique et de métaphysique, pour avoir disséqué deux crapauds, et s’être fait peindre avec un bonnet fourré, si le trésorier venait lui tenir ce langage : « Monsieur, on vous retranche cent ducats pour avoir écrit qu’il y a des astres faits comme des meules de moulin ; cent autres ducats pour avoir écrit qu’une comète viendra voler notre lune, et porter ses attentats jusqu’au soleil même ; cent autres ducats pour avoir imaginé que des comètes toutes d’or et de diamant tomberont sur la terre : vous êtes taxé à trois cents ducats pour avoir affirmé que les enfants se forment par attraction dans le ventre de la mère[1], que l’œil gauche attire la jambe droite[2], etc. ? On ne peut vous retrancher moins de quatre cents ducats pour avoir imaginé de connaître la nature de l’âme par le moyen de l’opium, et en disséquant des têtes de géants, etc., etc. » Il est clair que le pauvre philosophe perdrait de compte fait toute sa pension. Serait-il bien aise après cela que nous autres médecins, nous nous moquassions de lui, et que nous assurassions que les récompenses ne sont faites que pour ceux qui écrivent des choses utiles, et non pas pour ceux qui ne sont connus dans le monde que par l’envie de se faire connaître ?

Ce jeune homme inconsidéré reproche à mes confrères les médecins de n’être pas assez hardis. Il dit que[3] c’est au hasard et aux nations sauvages qu’on doit les seuls spécifiques connus, et que les médecins n’en ont pas trouvé un. Il faut lui apprendre que c’est la seule expérience qui a pu enseigner aux hommes les remèdes que fournissent les plantes. Hippocrate, Boerhaave, Chirac et Senac, n’auraient jamais certainement deviné, en voyant l’arbre du quinquina, qu’il doit guérir la fièvre, ni en voyant la

  1. Dans les Œuvres et les Lettres de M. de Maupertuis. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez la Vénus physique. (id.) — Dans toutes les éditions de la Diatribe du docteur Akakia, on lit comme ici : « que l’œil gauche attire la jambe droite ». C’est outrer les idées de Maupertuis, qui déjà ne sont pas rendues textuellement dans l’Extrait de la Bibliothèque raisonnée ; voyez, ci-devant, page 535.
  3. Page 205. (Note de Voltaire.)