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HISTOIRE

L’idée, à la vérité, n’est pas de lui ; mais il lui donne un air fort neuf.

Il nous conseille[1] d’enduire un malade de poix résine, ou de percer sa peau avec des aiguilles. S’il exerce jamais la médecine, et qu’il propose de tels remèdes, il y a grande apparence que ses malades suivront l’avis qu’il leur donne de ne point payer le médecin.

Mais ce qu’il y a d’étrange, c’est que ce cruel ennemi de la Faculté, qui veut qu’on nous retranche notre salaire si impitoyablement, propose[2], pour nous adoucir, de ruiner les malades. Il ordonne (car il est despotique) que chaque médecin ne traite qu’une seule infirmité ; de sorte que si un homme a la goutte, la fièvre, le dévoiement, mal aux yeux, et mal à l’oreille, il lui faudra payer cinq médecins au lieu d’un ; mais peut-être aussi que son intention est que nous n’ayons chacun que la cinquième partie de la rétribution ordinaire : je reconnais bien là sa malice. Bientôt on conseillera aux dévots d’avoir des directeurs pour chaque vice, un pour l’ambition sérieuse des petites choses, un pour la jalousie cachée sous un air dur et impérieux, un pour la rage de cabaler beaucoup pour des riens, un pour d’autres misères. Mais ne nous égarons point, et revenons à nos confrères.

Le meilleur médecin, dit-il, est celui qui raisonne le moins[3]. Il paraît être en philosophie aussi fidèle à cet axiome que le père Canaye l’était en théologie[4] : cependant, malgré sa haine contre le raisonnement, on voit qu’il a fait de profondes méditations sur l’art de prolonger la vie. Premièrement, il convient avec tous les gens sensés, et c’est de quoi nous le félicitons, que nos pères vivaient huit à neuf cents ans.

Ensuite, ayant trouvé tout seul, et indépendamment de Leibnitz, que « la maturité n’est point l’âge de la force, l’âge viril, mais que c’est la mort », il propose de reculer ce point de maturité[5], « comme on conserve des œufs en les empêchant d’éclore ». C’est un beau secret, et nous lui conseillons de se faire bien as-

  1. Page 206. (Note de Voltaire.)
  2. Page 208. (id.)
  3. Maupertuis dit : « Le meilleur médecin est celui qui raisonne le moins et qui observe le plus. » Voyez page 347 de l’édition in-4o de ses Œuvres, dont il a été question page 535.
  4. « Point de raison ; c’est la vraie religion cela, point de raison » ; tel est le raisonnement du P. Canaye dans la Conversation du maréchal d’Hocquincourt, qui fait partie des Œuvres de Saint-Évremond.
  5. Page 76. (Note de Voltaire.)