Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/111

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DU JÉSUITE BERTHIER. 401

— Rends-moi ma confession, coquin, dit Berthier; rends-moi ma confession tout à l'heure. Ah! c'est donc toi, l'ennemi de Dieu, des rois et même des jésuites ; c'est toi qui viens abuser de l'état où je suis : traître, que n'es-tu en apoplexie, et que ne puis-je te donner l'extrême-onction ! Tu crois donc être moins ennuyeux et moins fanatique que moi ? Oui, j'ai écrit des sottises, j'en con- viens ; je me suis rendu méprisable et haïssable, je l'avoue ; mais toi, n'es-tu pas le plus bas et le plus exécrable de tous les bar- bouilleurs de papier à qui la démence a mis la plume à la main ? Dis-moi donc si ton histoire des convulsions ne vaut pas bien nos Lettres édifiantes et curieuses? Nous voulons dominer partout, je le confesse ; et toi, tu voudrais tout brouiller. Nous voudrions séduire toutes les puissances; et toi, tu voudrais exciter la sédition contre elles. La justice a fait brûler nos livres, d'accord ; mais n'a-t-elle pas fait aussi brûler les tiens? Nous sommes tous en prison dans le Portugal, il est vrai; mais la police ne t'a-t-elle pas poursuivi cent fois, toi et tes complices ? Si j'ai eu la bêtise d'écrire contre des hommes éclairés qui dédaignaient jusque-là de m'écraser, n'as-tu pas eu la même impertinence? ne nous tourne-t-on pas tous deux également en ridicule? et ne devons- nous pas avouer que dans ce siècle, l'égout des siècles, nous sommes tous deux les plus vils insectes de tous les insectes qui bourdonnent au milieu de la fange de ce bourbier? » Voilà ce que la force delà vérité arrachait de la bouche de frère Berthier. Il parlait comme un inspiré; ses yeux, remplis d'un feu sombre, roulaient avec égarement ; sa bouche se tordait, l'écume la cou- vrait, son corps se roidissait, e-on cœur palpitait : bientôt une défaillance générale succéda à ces convulsions; et dans cette défaillance il serra tendrement la main de frère Coutu. «J'avoue, dit-il, qu'il y a bien des pauvretés dans mon Journal de Trévoux; mais il faut excuser la faiblesse humaine. — Ah ! mon révérend père, vous êtes un saint, dit frère Coutu ; vous êtes le premier auteur qui ait jamais avoué qu'il était ennuyeux; allez, mourez en paix; moquez-vous des Nouvelles ecclésiastiques; mourez, mon révérend père, et soyez sûr que vous ferez des miracles. »

Ainsi passa de cette vie à l'autre frère Berthier, le 12 octobre, à cinq heures et demie du soir.

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