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DU FR^.RE GARASSISE. 407

Le R. P. provincial ayant fait lecture du contenu de tous ces articles, et l'assemblée ayant délibéré sur cette affaire, le R. P. procureur se leva et dit: a Voici s'amuser à choses de néant, et qui ne sont d'aucun rapport ; quand ce couteau, que je révère comme je le dois, ferait encore de nouveaux miracles, cela ne nous don- nerait pas de quoi vivre ; quand on aura pendu frère Malagrida, frère .Mathos, et frère Alexandre, nous n'y gagnerons pas un écu; nous avons perdu la moitié de nos écoliers ; nos livres ne se dé- bitent plus ; nous sommes haïs et méprisés ; le grand Rertliier est mort; les libraires ne nous donnent plus d'argent, et nous n'a- vons plus personne parmi nous capable de travailler au Journal de Trévoux. Berruyer en était digne ; mais la mort nous a privés de ce grand homme, Griffet pourrait nous aider; mais il est oc- cupé à rallonger l'Histoire de frère Daniel ; et quoiqu'il ne soit pas plus instruit que frère Daniel des lois du royaume, des droits des différents corps, des libertés de l'Église gallicane, de l'an- cienne chevalerie, des états du royaume, et des anciens parle- ments, cependant il écrit toujours à bon compte, et ne peut se résoudre à continuer notre Journal. Quel parti prendrons-nous, mes révérends pères? »

Le R. P. spirituel se leva, et proféra ces paroles : « Il nous faut de l'argent; affermons le Journal de 7>éuoi(a; à quelque serviteur de Dieu connu dans Paris. » Un des assistants dit : a Je propose le célèbre Abraham Chaumeix »; mais on conclut à la pluralité des voix qu'on ne pouvait se fier à cet homme, attendu qu'il avait changé trop souvent de profession, s'étantfait de vinaigrier voiturier, de voiturier colporteur, de colporteur jésuite, de jésuite maître d'é- cole, de maître d'école convulsionnaire, et qu'il avait fini par se faire crucifier, le 2 mars 1750 S dans la rue Saint-Denis, vis-à-vis Saint- Leu, au second étage ; qu'enfin il n'y avait pas moyen de confier un fardeau aussi important que le Journal de Trévoux à un écri- vain de cette trempe, quelque grand homme qu'il fût d'ailleurs.

Le R, P. Croust ouvrit son avis en ces termes : « Pax ChrisU, shelm-; puisque vous ne pouvez faire votre chien de .lournal de Trévoux en français, je vous conseille de le faire en allemand ; on ne vous entendra pas plus qu'on ne vous entendait auparavant ; et en outre, la langue allemande est bien plus propre aux injures que votre fichue langue franque trop efféminée »; l'assemblée rit, et Croust jura Dieu en allemand.

��1. Tome XVII, page 5, Voltaire dit le 2 mars 1740.

2. Schehn, en allemand, signifie fripon, coquin. ( B.)

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