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DIALOGUES CHRÉTIENS. 433

semaines que c'est le livre le plus dangereux qui ait jamais été composé.

l'encyclopédiste.

Votre projet est très-sensé assurément ; mais ne serait-il pas plus équitable de le juger après l'avoir lu que de vous en fier à des rapports peut-être infidèles et peut-être intéressés?

A quel égard encore vous a-t-on dit qu'il fût dangereux?

LE PRÊTRE.

A tous égards : la théologie n'est point celle de la Sorbonne; la morale n'est point celle des jésuites ; la médecine n'est point celle de la faculté de Paris ; l'art militaire est composé sur des mémoires prussiens ; la marine et le commerce, sur des mémoires anglais; en un mot, tout en est détestable. l'encyclopédiste.

Voilà qui est raisonner à la fin ; et si vous m'aviez dit tout cela d'abord, notre dispute aurait été plus tôt terminée.

LE PRÊTRE.

Je vois que si je disais encore un mot, vous abjureriez la philosophie pour afficher la dévotion ; mais nous ne voulons plus de toutes ces palinodies qui font rire les incrédules, et qui vous raccommodent avec les bonnes gens de notre parti, qui sont dupes de vos simagrées : les ouvrages que vous avez faits contre la religion et ses ministres restent, et la rétractation périt. Il faut que vous soyez toute votre vie un objet de scandale, que vous mouriez dans l'impénitence, et que vous soyez damné éternel- lement. Je ne veux plus de commerce avec vous, et je vous dé- clare que l'ouvrage est abominable d'un bout à l'autre; qu'il fallait non-seulement le supprimer, mais encore le brûler ; qu'il fallait faire le procès à tous ceux qui y ont travaillé, à ceux qui l'ont imprimé, à ceux qui l'ont acheté, et que vous êtes tous des athées, des déistes, des sociniens, des ariens, des semi-pélagiens, des manichéens, etc., etc., etc.

N'avez-vous pas eu l'irréligieuse affectation de louer les an- ciens, qui étaient dans les ténèbres du paganisme, aux dépens des modernes, qui sont éclairés du flambeau de la révélation? N'avez-vous pas poussé l'impiété jusqu'à comparer le siècle ido- lâtre d'Auguste au siècle chrétien de Louis XIV? l'encyclopédiste.

Je me retire enchanté de votre érudition et de votre douceur, en vous exhortant à ne pas laisser refroidir le zèle dont je vous vois animé ; voici un de vos adversaires, dont je vous recommande la conversion, puisque vous avez dédaigné la mienne.

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