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474 LETTRES

considérable du butin : nous ne savons pas ce que cet argent est devenu; mais il est à croire que Jean-Jacques est aujourd'hui un des plus riches marins du canton de Berne que nous ayons à Paris. C'est apparemment avec cet argent qu'il se fit faire un bon habit à son retour, acheta une chaise de poste pour aller rendre ses respects, dans le pays de Vaud, à 1)1""= Julie et à M, le Russe, son mari. Il s'appelait Volmar : c'était un homme de près de cin- quante ans, encore assez frais, qui ne riait jamais, mais qui trou- vait bon qu'on rit quelquefois, pourvu que ce ne fût pas de lui.

M. de Volmar le reçut à bras ouverts : a Monsieur, lui dit-il, comme vous avez été l'amant de ma femme, je me flatte que vous serez toujours son bon ami, et que vous voudrez bien être le mien : nous vivrons tous trois familièrement en bons Suisses avec nos parents, comme si de rien n'était, et vous pouvez compter que cette petite vie sera le modèle de la philosophie et du bonheur. »

Le voyageur fut tout étonné de trouver M. de Volmar si sa- vant; mais Julie, en personne discrète, avait avoué, dans une soirée d'hiver, à son mari, ne sachant que faire, qu'elle avait au- trefois couché avec le philosophe ; et elle toucha même quelque chose du faux germe. Son gros Russe-Suisse ne s'en embarrassa pas, ay uni peut-être en sa personne de quoi négliger ce point-là. \\ aimait aussi à boire, comme milord et Jean-Jacques, et disait, dans ses goguettes, qu'il était très- content du tonneau quoiqu'un autre l'eut percé; propos, à la vérité, qui ne sent pas l'homme élevé à la cour, mais très-convenable à la noble simplicité du pays dont il avait (dit-il) adopté les maximes.

Jean-Jacques vécut depuis fort uniment entre son ancien cocu et son ancienne maîtresse. Il entra dans tous les détails des soins domestiques. Il avoue qu'à la vérité madame était un peu gour- mande ; mais aussi elle ne prenait jamais du café, ou le café que dans son entresol. Enfin la belle Julie devint dévote, et mourut ensuite calviniste, trouvant notre religion très-ridicule et très- vénale.

Toutes ces grandes aventures sont ornées de magnifiques lieux communs sur la vertu. Jamais catin ne prêcha plus, et jamais valet suborneur de filles ne fut plus philosophe. Jean-Jacques a trouvé l'heureux secret de mettre dans ce beau roman de six tomes, trois à quatre pages de faits, et environ mille de discours moraux. Ce n'est ni Télémaque, ni la Princesse de Clercs, ni Zaïdc : c'est JEAi\ -JACQUES tout pur.

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