Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/210

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de poing dans la fosse, et le roi les sépare pour maintenir la décence dans les cérémonies de l’Église.

Cependant le roi Claudius, qui est grand politique, voit bien qu’il se faut défaire d’un aussi dangereux fou que le prince Hamlet ; et puisque ce jeune prince n’est pas pendu à Londres, il est bien convenable de le faire périr en Danemark.

Voici la façon dont l’adroit Claudius s’y prend ; il était accoutumé à empoisonner. « Écoute, dit-il au jeune Laerte, le prince Hamlet a tué ton père, mon grand chambellan ; je vais te proposer, pour te venger, un petit divertissement de chevalerie. Je gagerai contre toi que de douze passes tu n’en feras pas trois à Hamlet ; tu combattras avec lui devant toute la cour. Tu prendras adroitement un fleuret aiguisé dont j’ai trempé la pointe dans un poison très-subtil. Si par malheur tu ne peux réussir à frapper le prince, j’aurai soin de mettre pour lui une bouteille de vin empoisonné sur la table. Il faut bien boire quand on s’escrime, Hamlet boira quelques coups, et de façon ou d’autre il est mort sans rémission. » Laerte trouve le divertissement et la vengeance de la meilleure invention du monde.

Hamlet accepte le défi. On met des bouteilles et des vidrecomes sur la table ; les deux champions paraissent, le fleuret à la main, en présence de Claudius, de madame Gertrude, et de la cour danoise ; ils ferraillent ; Laerte blesse Hamlet avec son fleuret empoisonné. Hamlet, se sentant blessé, crie trahison ; tous les assistants crient trahison. Hamlet, furieux, arrache à Laerte son fleuret pointu, l’en frappe lui-même, et en frappe le roi ; la reine Gertrude, épouvantée, veut boire un coup pour reprendre ses forces : la voilà aussi empoisonnée ; et tous quatre, c’est-à-dire le roi Claudius, Gertrude, Laerte, et Hamlet, tombent morts.

Il est à remarquer qu’on reçoit alors la nouvelle que les deux chambellans qui avaient fait voile pour l’Angleterre, avec le paquet scellé du grand sceau du Danemark, ont été dépêchés en arrivant. Ainsi, Dieu merci, il ne reste aucun des acteurs on vie ; mais, pour remplacer les défunts, il y a un certain Fort-en-bras, parent de la maison, qui a conquis la Pologne pendant qu’on jouait la pièce, et qui vient, à la fin, se proposer pour candidat au trône de Danemark.

Telle est exactement la fameuse tragédie d’Hamlet, le chef-d’œuvre du théâtre de Londres, Tel est l’ouvrage qu’on préfère à Cinna.

Il y a là deux grands problèmes à résoudre : le premier, comment tant de merveilles se sont accumulées dans une seule