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DE JEAN MESLIER. 313

rompus, on en peut supposer autant pour les autres. Ainsi il n'y a point de preuve assurée pour discerner les uns d'avec les autres, en dépit de l'Église, qui veut en décider ; elle n'est pas plus croyable.

Pour ce qui est des prétendus miracles rapportés dans le Vieux Testament, ils n'auraient été faits que pour marquer, de la part de Dieu, une injuste et odieuse acception de peuples et de personnes, et pour accabler de maux, de propos délibéré, les uns pour favoriser tout particulièrement les autres. La vocation et le choix que Dieu fit des patriarches Abraham, Isaac, et Jacob, pour, de leur postérité, se faire un peuple qu'il sanctifierait et bénirait par-dessus tous les autres peuples de la terre, en est une preuve.

Mais, dira-t-ou. Dieu est le maître absolu de ses grâces et de ses bienfaits, il peut les accorder à qui bon lui semble, sans qu'on ait droit de s'en plaindre ni de l'accuser d'injustice. Cette raison est vaine, car Dieu, l'auteur de la nature, le père de tous les hommes, doit également les aimer tous, comme ses propres ou- vrages, et par conséquent il doit également être leur protecteur et leur bienfaiteur : car celui qui donne l'être doit donner les suites et les conséquences nécessaires pour le bien-être ; si ce n'est que nos christicoles veuillent dire que leur Dieu voudrait faire exprès des créatures pour les rendre misérables, ce qu'il serait certainement indigne de penser d'un Être infiniment bon.

De plus, si tous les prétendus miracles tant du Vieux que du Nouveau Testament étaient véritables, on pourrait dire que Dieu aurait eu plus de soin de pourvoir au moindre bien des hommes qu'à leur plus grand et principal bien ; qu'il aurait voulu plus sévèrement punir dans de certaines personnes des fautes légères qu'il n'aurait puni dans d'autres de très-grands crimes; et enfin qu'il n'aurait pas voulu se montrer si bienfaisant dans les plus pressants besoins que dans les moindres. C'est ce qu'il est facile de faire voir, tant par les miracles qu'on prétend qu'il a faits, que par ceux qu'il n'a pas faits, et qu'il aurait néanmoins plutôt faits qu'aucun autre, s'il était vrai qu'il en eût fait. Par exemple, dire que Dieu aurait eu la complaisance d'envoyer un ange pour consoler et secourir une simple servante, pendant qu'il aurait laissé et qu'il laisse encore tous les jours languir et mourir de misère une infinité d'innocents ; qu'il aurait conservé miraculeu- sement, pendant quarante ans, les habillements et les chaussures d'un misérable peuple, pendant qu'il ne veut pas veiller à la conservation naturelle de tant de biens si utiles et nécessaires pour la subsistance des peuples, et qui se sont néanmoins perdus

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